“Ces dernières années, les programmes de plantation d’arbres à grande échelle ont vu leur succès exploser en tant que moyen de lutte contre la crise climatique”, explique Josh Toussaint-Strauss, journaliste pour The Guardian. Dans une vidéo publiée sur la chaîne YouTube du quotidien anglais, la reforestation comme solution pour lutter contre le réchauffement climatique est remise en cause.
Chênes lièges à la source Charlois - Photo Marie-Hélène Taillard
Le reportage tend à démontrer que l’argument selon lequel “les arbres absorbent de grandes quantités de dioxyde de carbone de l’atmosphère, nous apportent de l’oxygène à respirer et sont des écosystèmes vraiment étonnants”, même s’il est en partie vrai, est à prendre avec des pincettes. Il en va de même avec la reforestation comme unique solution pour vaincre la crise écologique.
Pour que cette reforestation soit efficace et non pas dangereuse, il faut qu’elle soit faite avec prudence. Il faut choisir le bon endroit et le bon arbre.
Pour illustrer ces propos, le journaliste du Guardian prend l’exemple de Yatir Forest, la plus grande “forêt plantée” d’Israël. En tout, ce sont des millions d’arbres qui ont été plantés dans cette partie du désert, mais ces “4 millions d’arbres entraînent une surchauffe de la planète”, notamment à cause du choix de l’endroit de replantation.
En cause : un phénomène appelé “l’effet albedo”, c’est-à-dire :
Le fait que la capacité d’une surface à réfléchir la chaleur dépend de sa couleur. La surface désertique claire qui existait auparavant renvoyait donc davantage les rayons du soleil que le couvert forestier plus sombre qui l’a remplacée.
De plus, “planter dans un type de sol mal adapté, à proximité d’un trop grand nombre d’animaux de pâturage ou sous un mauvais climat, constitue autant de risques de voir des arbrisseaux mourir très rapidement”.
Un mauvais choix d’emplacement pourrait, comme à Cumbria, en Angleterre, “épuiser les nappes phréatiques, assécher les cours d’eau et détruire les tourbières, avec pour conséquence, outre la destruction de cet important écosystème, la libération des énormes réserves de carbone qu’elles emprisonnent”.
Le choix du lieu de la replantation d’arbres est donc crucial. Selon certains spécialistes, l’endroit idéal serait les villes. En effet, “les arbres contribuent à réduire le bruit, à améliorer la qualité de l’air, à prévenir les inondations, à fournir de l’ombre et même à améliorer l’impression de bien-être physique et psychologique”.
Un autre problème survient quand il est question de reforestation : la “monoculture”, qui consiste en la plantation d’une seule et même espèce d’arbre. Cela entraîne plusieurs problèmes : “moins de dioxyde de carbone est ainsi emprisonné, ce n’est pas bon pour la biodiversité, et cela rend les arbres très sensibles aux maladies”. La vidéo explique que “ce sont les écosystèmes, et pas seulement les arbres, qui capturent et stockent le CO2, et plus l’écosystème est varié, plus il fixe solidement de grandes quantités de dioxyde de carbone”.
Attention également à ne pas planter le mauvais type d’arbre. The Guardian prend l’exemple de l’Afrique du Sud, où, “à cause de l’introduction d’espèces non indigènes d’acacia, cet arbre très envahissant a pris le dessus sur les autres variétés dans des zones très vastes, en particulier sur des landes et prairies très précieuses”.
Si le phénomène de “reforestation de masse” a pris de l’ampleur ces dernières années, il pourrait donc devenir dangereux pour la planète. Comme il est dit dans la vidéo, “ce n’est pas parce que tout le monde peut planter un arbre qu’il faut forcément le faire”. La reforestation à grande échelle ne serait pas la solution pour remplacer les arbres perdus au cours des siècles ou régler le problème climatique.
Chaque année, 10 milliards d’arbres disparaissent à cause d’incendies ou victimes de la déforestation. Mais, selon la vidéo du Guardian, il faudrait plutôt protéger les forêts existantes. Un argument est avancé : “Les forêts savent très bien se régénérer et s’étendre par leurs propres moyens”, la solution serait la reforestation naturelle, mais pour cela, il faudrait “laisser suffisamment d’espace autour des forêts déjà existantes pour qu’elles puissent s’étendre naturellement”.
Y a-t-il plus d'incendies dans les Alpes-Maritimes et le Var? Non, répondent les experts qui étudient la question. Pour autant, la gestion des feux reste incontournable sur notre territoire, sujet à une hausse inquiétante des températures, notamment en été. Quels facteurs doivent être pris en compte et comment se mobiliser pour éviter que des hectares partent en fumée? Météorologues, scientifiques et autorités publiques esquissent une réponse.
Trois hectares brûlés à Bar-sur-Loup, deux autres feux déclarés puis rapidement maîtrisés pas plus tard qu’en début de semaine à la Londe ou encore à Hyères, l’été apporte son lot de mauvaises nouvelles en matière d’incendies et pour la forêt méditerranéenne. Selon la base de données Prométhée, qui recense les incendies dans la zone méditerranéenne, 66 hectares seraient partis en fumée depuis le début de l’année dans les Alpes-Maritimes. Si le chiffre est beaucoup plus contenu dans le Var pour l’année en cours, ce département enregistre en revanche plus de 1.000 hectares brûlés en moyenne par an entre 2016 et 2020, soit le département le plus touché de la région Sud après les Bouches-du-Rhône.
"Le feu représente l’une des plus importantes perturbations subies par les écosystèmes forestiers méditerranéens, avec 600.000 hectares brûlés chaque année dont 10.000 ha en France", alertait et confirmait l’Inrae (Institut national de la recherche agronomique) dans un article publié en avril 2019. Moins fréquents mais plus violents, comment faire face à la menace d’incendies ? Entre dérèglement climatique et responsabilités humaines, autorités locales, scientifiques et météorologues appellent à la vigilance.
"Pour comprendre le déclenchement des incendies, il faut prendre en compte la température et l’humidité de l’air. Plus il va faire chaud, plus les plantes vont transpirer, être sèches et devenir un excellent combustible." Florence Vaysse travaille à Météo France et étudie avec précision les évolutions en matière de climat.
Le réchauffement climatique et son lien avec les incendies, ce sujet fait régulièrement l’objet de rapports par des équipes de scientifiques de Météo France comme en 2014 où l’organisme prévoyait déjà en 2021 une hausse des températures moyennes entre 0,6 et 1,3 °C, "plus forte dans le Sud-Est en été". C’est également dans cette partie de la France que Météo-France prévoyait dans le même rapport une augmentation "du nombre de jours de vagues de chaleur en été".
"Les étés ont de plus en plus tendance à s’étirer dans le temps, de juin à septembre, et avec eux la période propice aux incendies", poursuit Florence Vaysse. En juin 2019, Météo France enregistrait ainsi une chaleur record dans l’Hérault avec des températures atteignant les 46°C. "L’alerte canicule rouge avait été lancée… Impensable il y a encore quelques années pour un mois de juin", souffle la météorologue.
Faut-il s'inquiéter d'autres phénomènes climatiques, comme le vent ? Météo France n’enregistre pas, contrairement à ce que l'on pourrait ressentir, une recrudescence des vents. "L’année où Météo France enregistre le plus de vent remonte à 1956 avec 73 jours de vents forts, remarque Florence Vaysse. En 2017, l’année où il y a eu de grands incendies dans le Var et les Alpes-Maritimes, on a enregistré 35 jours de vents forts."
“Le vent joue un rôle dans la propagation mais ce qui va déterminer le départ d’incendies, ça va être l’absence de précipitations, des températures élevées et le taux d’humidité de l’air qui favorise la transpiration de plantes et donc leur sécheresse”, poursuit la météorologue.
Ce sont ces vagues de chaleur prolongées qui inquiètent de plus en plus les scientifiques. Julien Ruffault travaille à l’Inrae, l’institut de la recherche agronomique. "Si les feux se déclenchent à un moment de chaleur extrême, on remarque que les pompiers ont plus de difficulté à les contenir" note-t-il.
Depuis plusieurs années, Julien Ruffault s’intéresse au lien entre climat et incendies, une question extrêmement complexe tant les paramètres à prendre en compte sont nombreux et évoluent dans le temps.
"Si vous regardez les statistiques, le risque d’incendies est en réalité aujourd’hui contenu," note le chercheur.
Depuis la fin des années 80, les autorités ont mis en place un réseau de surveillance et une politique de prévention efficaces.
Le spécialiste souligne également l’efficacité de mesures comme la fermeture ou la limitation d’accès aux massifs à la suite des incendies spectaculaires de 2003. Mais une question le taraude : combien de temps ces mesures vont pouvoir fonctionner face à des épisodes de chaleur toujours plus intenses ?
Pour les spécialistes, il faut prendre en compte une autre problématique : "l’interface habitat/forêt".
"Plus on a d’habitations, plus les possibilités d’incendies accidentels se multiplient", poursuit Julien Ruffault. Ce fut notamment le cas aux Castagniers, à Nice, en juillet 2017, quand un barbecue mal éteint ravagea 150 hectares.
Outre la cohabitation homme/nature, l’étalement urbain a aussi des conséquences sur la qualité des sols et entraîne la formation d’une biomasse (matière organique) combustible. Aujourd’hui, des voix s’élèvent pour demander d’agir davantage sur l’aménagement du territoire : "Là où les pompiers seront occupés à sauver des gens prisonniers de leurs habitations, ils agiront moins vite sur la progression des flammes."
C’est précisément pour éviter ce genre de dilemme que les pouvoirs publics ont adopté une série de mesures pour aider les communes à prévenir les risques.
Notamment à travers le Plan de prévention des risques contre les incendies (PPRIF), institué par la loi Barnier de 1995 sur la prévention des risques naturels. Annexé au Plan local d’urbanisme (PLU), il peut être utilisé lors de l’octroi de permis de construire. Son application demeure délicate et parfois laissé même à l’appréciation des juges.
Il est ainsi déjà arrivé, pour des constructions d’habitations privées, que des préfets saisissent la justice comme ce fut le cas dans la petite ville de Lucciana en Haute-Corse en 2017 où le préfet s’opposa à la décision du maire de vendre et rendre constructible une parcelle contenue dans le PPRIF.
Une autorisation de vente finalement accordée par la cour administrative d’appel de Marseille qui jugea que ladite parcelle se trouvait à proximité de plusieurs points d’eau et "dont l’environnement immédiat était faiblement boisé".
Incendie des Argériès 12 septembre 2018
En tout, les incendies représentent 6% des interventions des pompiers. Dans l’ordre, le site des soldats du feu énonce : "Les feux d'habitation représentent la plus grande part, suivis de près par les feux sur voie publique, puis par les feux de véhicules et les feux de végétation."
Pour combattre les incendies, de nombreuses technologies sont développées comme des canadairs plus puissants, des drones, l’élaboration de produits chimiques destinés à retarder la propagation des feux…
Des accords internationaux ont également été établis entre les différents pays d’Europe pour agir vite en cas d’incendies comme ça a été le cas en Sardaigne (Italie), pas plus tard que ce 25 juillet où la France et la Grèce ont dépêché des canadairs à la suite de violents incendies.
“Il faut bien insister sur l‘origine humaine des incendies, insiste Florence Vaysse. A plus de 90%, ce sont les gens avec un barbecue, une cigarette ou des travaux à la maison, comme tailler une haie et des étincelles, qui vont déclencher un feu.”
Dès lors, quelles bonnes pratiques adopter face au risque d’incendie ? La Région Sud a consigné les bons gestes à adopter pour lutter contre les incendies dans son plan climat régional baptisé "Guerre du feu" et adopté en 2017, à la suite des incendies ravageurs dans le Var et les Alpes-Maritimes.
Information et sensibilisation du public y tiennent une place de taille avec, notamment, la mise en place d’une Garde régionale forestière, composée de 169 jeunes cette année et chargée de sensibiliser habitants et touristes au risque incendie.
“Il y a des choses que vous pouvez faire vous-même”, précise le site de la Région Sud qui insiste sur le débroussaillage à domicile, mais aussi dans les différentes communes, “la présence de broussailles étant souvent une cause de progression rapide des incendies”.
Quant à ceux qui partent en balade, elle recommande de vérifier l’accès aux massifs autorisés avant de se mettre en route ainsi que le respect de bonnes pratiques une fois sur place, comme, par exemple, ne pas jeter de cigarette ou ne pas faire de feu à moins de 200 mètres d’un massif.
Pour les plus technologiques et ceux qui voudraient avoir des informations à portée de main, une application est par ailleurs proposée par l’association l’Entente pour la forêt méditerranéenne. Baptisée "Prévention incendie", elle est disponible sur iPhone et Androïd et permet au grand public de connaître les modalités d’accès aux massifs forestiers en fonction du niveau de risque incendie.
Et si planter des arbres permettait de lutter contre la sécheresse induite par le changement climatique ? L’idée n’est pas si saugrenue, à en croire une publication parue le 5 juillet dans la revue Nature Geoscience. “Une nouvelle étude a révélé que la conversion de terres agricoles en forêts augmenterait les pluies estivales de 7,6 % en moyenne”, rapporte la BBC.
Les chercheurs de l’Institut des sciences du climat et de l’atmosphère de Zurich ainsi qu’une ingénieure britannique ont utilisé un modèle statistique fondé sur des données d’observation en forêt pour estimer la façon dont la couverture forestière influence la pluviométrie sur l’ensemble du continent, précise le média public britannique.
Ils en ont déduit qu’avec une augmentation de 20 % la surface forestière les précipitations augmenteraient dans les régions côtières en hiver et, surtout, dans les régions venteuses en été. Un résultat intéressant, alors que le dérèglement climatique fait craindre une augmentation et une intensification des épisodes de sécheresse.
Les raisons de ce phénomène sont encore incertaines. Parmi les possibilités, souligne la BBC : le fait que l’air nuageux reste plus longtemps au-dessus des zones boisées, la nature plus “rugueuse” des arbres pouvant déclencher la pluie, et la tendance des nouvelles forêts à évacuer davantage d’humidité dans l’atmosphère que les terres agricoles.
Pour autant, les chercheurs balaient de la main l’idée que la reforestation puisse suffire à lutter contre le dérèglement climatique. D’une part, reboiser dans un pays peut affecter la météorologie d’un pays voisin. D’autre part, cela ne compensera pas l’influence des émissions de gaz à effet de serre d’origine anthropique. Enfin, les auteurs soulignent que la plantation d’arbres peut avoir des conséquences négatives, en particulier dans les zones où le dérèglement climatique a déjà intensifié les précipitations.
Note : Est-ce qu'on a pratiqué au Revest le levage de liège ? A-t-on déjà vu sur la commune des chênes-liège qui en portaient la marque ? (je crois avoir vu ça à Tourris, sur l'arbre face à la chapelle)
Le Plan-de-la-Tour A l’image de la récolte débutée depuis peu au domaine des Vernades, l’exploitation du liège, abandonnée au fil des décennies, reprend ses droits dans le massif.
La levée du liège
Ce matin-là, Alexandre Latil a les yeux qui pétillent comme un gamin devant ses cadeaux de Noël: devant lui, trois hommes s’affairent autour d’un des plus vieux chênes-lièges, certainement plus que centenaires, de sa propriété située au cœur du massif des Maures, sur les communes du Plan-de-la-Tour, de Grimaud et de La Garde-Freinet. Ils en récoltent l’écorce : c’est ce qu’on appelle la levée du liège.
Il est heureux et aussi un peu ému, notre viticulteur du domaine des Vernades, car l’exploitation du liège, largement répandue par le passé, a été quasiment abandonnée au fil des générations.
"Ma famille, mon arrière-grand-père, mon grand-père vivaient de la forêt, du liège qu’ils amenaient à la bouchonnerie, des pins, des vergers, des oliviers, de la vigne et de la récolte des foins. Mon grand-père est décédé en 2013 et la dernière fois qu’il a pu le faire, c’était en 2006. Alors ça fait plaisir de revoir ça, ce savoir-faire, ces arbres qui respirent et une ressource naturelle et locale de nouveau exploitée!"
Toujours d’attaque à 73 ans!
Sur 70 hectares, une quarantaine est ici plantée de chênes-lièges. Mais le savoir-faire s’est perdu, les entreprises ont fermé les unes après les autres, les artisans sont devenus très rares. Mais le hasard fait parfois bien les choses : à 73 ans, Belkacem Boukarine vit à Cogolin. Il a maintenant le temps et a gardé toute son énergie pour la levée du liège "qui est sa passion", dit son fils Abdel.
Alexandre et ce dernier se connaissaient : "Quand il est venu ici, il a vu tous ces chênes-lièges et m’a dit que son père en cherchait. L’an dernier, il me l’a présenté, on a fait le tour et depuis quelques jours, ils ont attaqué!" Abdel est venu prêter main-forte à son père avec un ami, Bilal, car la récolte ne peut s’effectuer qu’entre juin et août, pendant que la sève de l’arbre monte, sinon l’écorce est impossible à décoller du tronc.
Il faut savoir aussi que chaque levée doit être espacée d’au moins neuf ans, le temps que l’écorce se régénère et soit alors qu’une qualité exploitable. Ce n’est pas le cas d’une écorce brute, originelle, qui ne pourra pas être valorisée, d’où la nécessité de gérer dans le temps l’exploitation d’une forêt.
"Le liège, je leur laisse"
"J’en ai parlé à mes voisins et deux sont intéressés", poursuit le viticulteur pour qui, clairement, la motivation n’est pas économique. "Je suis bien heureux déjà d’avoir trouvé ces ouvriers, alors le liège, je leur laisse. Déjà qu’ils gagnent à peine leur vie dans un travail qui est difficile. L’important pour moi, c’est d’entretenir les arbres ; là ils respirent, c’est magnifique! La semaine prochaine, j’attaque le débroussaillement et ce sera tout propre."
Quand le retour aux sources et à des pratiques ancestrales prend tout son sens, dans notre période bardée de technologie...
Pendant plus de 10 ans, André Beaugé, botaniste, chercheur au CNRS et Docteur es Sciences, a recherché et proposé des solutions pour la défense de la forêt méditerranéenne. Voici l'un de ses textes du 30 mai 1989.
Face aux derniers sinistres subis par la forêt provençale, après ceux de cet hiver exceptionnellement doux et sec, il est indispensable de prêter la plus vive attention aux moyens de lutte et aux causes directes des incendies. Mais ce serait insuffisant, si nous ne savons remédier aux conditions de vie extrêmement précaires des peuplements forestiers tout autour de la Méditerranée. Corrigeons-les, au moins chez nous, sinon la lutte serait un gaspillage inutile, inefficace.
Il ne s'agit pas d'un luxe. Sous peine de sacrifier toute l'écologie régionale, il est nécessaire de sauver cette forêt, qui en est la clé de voute. Sans écologie rationnelle, y a-t-il une économie possible ?
Or, les conditions de vie forestière autour de la Méditerranée sont désastreuses. Ainsi, les peuplements ont-ils évolué des essences de feuillus aux résineux si inflammables qui, eux-mêmes, font place aux garrigues qui végètent sur des épaisseurs de sols dérisoires. Après quoi, la terre agonise.
Ces mêmes conditions de vie sont très défavorables à la puissance, à la vitalité, à la hauteur et à la prospérité des espèces arborescentes. Une forêt saine ne brûle pas comme nous voyons brûler celles qui entourent la Méditerranée.
Trois éléments sont indispensables à considérer : le climat, l'état des eaux souterraines et l'érosion des sols.
La Météorologie Nationale nous fournit des statistiques dont l'étude permet de comparer les conditions climatiques françaises sur le versant et les côtes atlantiques avec celles du versant et des côtes méditerranéennes. Cette comparaison évite des généralisations abusives qui peuvent être à l'origine d'erreurs de gestion.
Les hauteurs de précipitations sur les côtes méditerranéennes et sur les côtes atlantiques sont dans le rapport de 3 à 5. Premier constat. Les pluies méditerranéennes, en outre, sont le plus souvent orageuses. Ainsi, sur 3 jours de pluie à Nice, nous avons un jour d'orage. A Brest, nous n'avons qu'un jour d'orage pour 17 jours de pluie. Dans un temps égal de pluie, il tombe 157 litres d'eau à Nice pour 100 litres à Brest. Mais il y a 210 jours de pluie à Brest et seulement 105 à Nice. Ces chiffres mettent en évidence la brutalité des pluies méridionales, causes de tant de sinistres et, en même temps, la précarité de l'alimentation en eau qu'elles fournissent à la végétation.
En même temps, les différences de températures et du temps d'ensoleillement entre les régions atlantiques et les régions méditerranéennes créent des écarts considérables entre les taux d'évapotranspiration : le rapport est de 10 à 19. Nous pouvons déjà, sans imprudence, retenir comme conclusion première que si la végétation des régions méditerranéennes jouit d'une lumière abondante favorable à la fonction chlorophyllienne, la carence en eau est un risque constant.
Les eaux souterraines devraient servir de régulateur entre les alternances de pluies orageuses et parfois torrentielles, et les périodes de sècheresse prolongée. Elles devraient mettre en réserve les excès des précipitations et permettre une alimentation constante pendant les longues périodes sèches.
Autrefois, les restanques, les "bancaous" des Provençaux, ces terrasses bâties sur les pentes, retenaient l'eau de pluie, tandis que les excès d'arrosage s'acheminaient vers la nappe phréatique. Les nouvelles façons agricoles ont amené, depuis la guerre, l'abandon de centaines, voire de milliers de kilomètres de ces terrasses. Les murets aujourd'hui se délabrent, souvent s'écroulent. La terre fuit, et l'eau se perd de même, l'une et l'autre s'acheminant vers la mer. On a, par ailleurs, multiplié sans précautions ni contreparties, les surfaces macadamisées ou bétonnées qui ferment hermétiquement l'accès des pluies vers la nappe. Au lieu d'épurer les eaux usées, trop souvent encore on les achemine à grand frais par des égouts étanches jusqu'à la mer qu'elles polluent impunément. Heureusement, certaines municipalités on pris des initiatives inverses.
Mais l'état des réserves d'eau souterraines reste très préoccupant, d'autant plus que l'évolution des climats ne nous est pas favorable. Les géophysiciens estiment que les rythmes naturels semblent avoir amorcé une phase de refroidissement durable. Mais l'élévation de la température, causée par l'effet de serre que nous devons à l'accumulation de CO2 dans l'atmosphère, nous vaut un réchauffement certain. Celui-ci ne peut que déplacer vers le Nord les conditions de désertification. Les pourtours méditerranéens évoluent ainsi, comme l'a fait le Sahara qui se traversait en char à bœufs il y a moins de 2000 ans. Sans une alimentation et une protection des eaux souterraines, le destin du Sahara sera-t-il celui du bassin méditerranéen ?
Les chiffres, clamés sans désemparer et depuis des décennies par les spécialistes, sont dans le domaine public, mais qui donc en tire des conclusions pratiques ? Les chiffres des sols perdus sont les suivants : rarement moins de 200 à 300 tonnes au km2 par an, parfois 4000 à 5000. Et nous ne savons depuis combien de siècles cette cadence s'est établie (Enc. Univ., Art. SOLS (6 Érosion) F. FOURNIER & S. HENIN).
Ainsi, les sols de surface, les plus riches en éléments organiques, s'en vont à la mer avec les eaux inutilisées, dans une région qui a tant besoin des uns et des autres. Pourtant, les résidus des stations d'épuration des eaux peuvent utilement participer à la reconstitution d'un sol forestier. Plus de 50 %des ordures ménagères pourraient y être acheminées. Nous préférons les brûler et épaissir ainsi la masse de gaz carbonique de l'atmosphère, en sacrifiant les forêts qui purifieraient l'air dont nous avons tous besoin.
Pourtant, nous possédons des techniques rapides de retenue des sols : les "gabions" qui soutiennent les remblais des autoroutes en sont l'exemple. On craindrait qu'une telle orientation de nos pratiques ne soit très onéreuse ? Tentons pour en juger une amorce d'addition
coûts directs et indirects du chômage
ravages causés à l'équilibre naturel par les incendies de forêt, la pollution conséquente, l'irrégularité des débits fluviaux, etc
frais énormes d'une lutte perdue d'avance contre les incendies
Et comparons cette note avec celle d'une gestion saine et logique des éléments disponibles. Nous conclurons sans doute différemment. Nous sauverions ainsi le présent, sans sacrifier l'avenir, puisque gouverner, c'est prévoir.
Si les forêts méditerranéennes brûlent, c'est parce qu'elles manquent de sol et d'eau. Une alimentation constante modifierait la répartition des essences et leur prospérité en les rendant, du même coup, moins vulnérables.