Y a-t-il plus d'incendies dans les Alpes-Maritimes et le Var? Non, répondent les experts qui étudient la question. Pour autant, la gestion des feux reste incontournable sur notre territoire, sujet à une hausse inquiétante des températures, notamment en été. Quels facteurs doivent être pris en compte et comment se mobiliser pour éviter que des hectares partent en fumée? Météorologues, scientifiques et autorités publiques esquissent une réponse.
Trois hectares brûlés à Bar-sur-Loup, deux autres feux déclarés puis rapidement maîtrisés pas plus tard qu’en début de semaine à la Londe ou encore à Hyères, l’été apporte son lot de mauvaises nouvelles en matière d’incendies et pour la forêt méditerranéenne. Selon la base de données Prométhée, qui recense les incendies dans la zone méditerranéenne, 66 hectares seraient partis en fumée depuis le début de l’année dans les Alpes-Maritimes. Si le chiffre est beaucoup plus contenu dans le Var pour l’année en cours, ce département enregistre en revanche plus de 1.000 hectares brûlés en moyenne par an entre 2016 et 2020, soit le département le plus touché de la région Sud après les Bouches-du-Rhône.
"Le feu représente l’une des plus importantes perturbations subies par les écosystèmes forestiers méditerranéens, avec 600.000 hectares brûlés chaque année dont 10.000 ha en France", alertait et confirmait l’Inrae (Institut national de la recherche agronomique) dans un article publié en avril 2019. Moins fréquents mais plus violents, comment faire face à la menace d’incendies ? Entre dérèglement climatique et responsabilités humaines, autorités locales, scientifiques et météorologues appellent à la vigilance.
"Pour comprendre le déclenchement des incendies, il faut prendre en compte la température et l’humidité de l’air. Plus il va faire chaud, plus les plantes vont transpirer, être sèches et devenir un excellent combustible." Florence Vaysse travaille à Météo France et étudie avec précision les évolutions en matière de climat.
Le réchauffement climatique et son lien avec les incendies, ce sujet fait régulièrement l’objet de rapports par des équipes de scientifiques de Météo France comme en 2014 où l’organisme prévoyait déjà en 2021 une hausse des températures moyennes entre 0,6 et 1,3 °C, "plus forte dans le Sud-Est en été". C’est également dans cette partie de la France que Météo-France prévoyait dans le même rapport une augmentation "du nombre de jours de vagues de chaleur en été".
"Les étés ont de plus en plus tendance à s’étirer dans le temps, de juin à septembre, et avec eux la période propice aux incendies", poursuit Florence Vaysse. En juin 2019, Météo France enregistrait ainsi une chaleur record dans l’Hérault avec des températures atteignant les 46°C. "L’alerte canicule rouge avait été lancée… Impensable il y a encore quelques années pour un mois de juin", souffle la météorologue.
Faut-il s'inquiéter d'autres phénomènes climatiques, comme le vent ? Météo France n’enregistre pas, contrairement à ce que l'on pourrait ressentir, une recrudescence des vents. "L’année où Météo France enregistre le plus de vent remonte à 1956 avec 73 jours de vents forts, remarque Florence Vaysse. En 2017, l’année où il y a eu de grands incendies dans le Var et les Alpes-Maritimes, on a enregistré 35 jours de vents forts."
“Le vent joue un rôle dans la propagation mais ce qui va déterminer le départ d’incendies, ça va être l’absence de précipitations, des températures élevées et le taux d’humidité de l’air qui favorise la transpiration de plantes et donc leur sécheresse”, poursuit la météorologue.
Ce sont ces vagues de chaleur prolongées qui inquiètent de plus en plus les scientifiques. Julien Ruffault travaille à l’Inrae, l’institut de la recherche agronomique. "Si les feux se déclenchent à un moment de chaleur extrême, on remarque que les pompiers ont plus de difficulté à les contenir" note-t-il.
Depuis plusieurs années, Julien Ruffault s’intéresse au lien entre climat et incendies, une question extrêmement complexe tant les paramètres à prendre en compte sont nombreux et évoluent dans le temps.
"Si vous regardez les statistiques, le risque d’incendies est en réalité aujourd’hui contenu," note le chercheur.
Depuis la fin des années 80, les autorités ont mis en place un réseau de surveillance et une politique de prévention efficaces.
Le spécialiste souligne également l’efficacité de mesures comme la fermeture ou la limitation d’accès aux massifs à la suite des incendies spectaculaires de 2003. Mais une question le taraude : combien de temps ces mesures vont pouvoir fonctionner face à des épisodes de chaleur toujours plus intenses ?
Pour les spécialistes, il faut prendre en compte une autre problématique : "l’interface habitat/forêt".
"Plus on a d’habitations, plus les possibilités d’incendies accidentels se multiplient", poursuit Julien Ruffault. Ce fut notamment le cas aux Castagniers, à Nice, en juillet 2017, quand un barbecue mal éteint ravagea 150 hectares.
Outre la cohabitation homme/nature, l’étalement urbain a aussi des conséquences sur la qualité des sols et entraîne la formation d’une biomasse (matière organique) combustible. Aujourd’hui, des voix s’élèvent pour demander d’agir davantage sur l’aménagement du territoire : "Là où les pompiers seront occupés à sauver des gens prisonniers de leurs habitations, ils agiront moins vite sur la progression des flammes."
C’est précisément pour éviter ce genre de dilemme que les pouvoirs publics ont adopté une série de mesures pour aider les communes à prévenir les risques.
Notamment à travers le Plan de prévention des risques contre les incendies (PPRIF), institué par la loi Barnier de 1995 sur la prévention des risques naturels. Annexé au Plan local d’urbanisme (PLU), il peut être utilisé lors de l’octroi de permis de construire. Son application demeure délicate et parfois laissé même à l’appréciation des juges.
Il est ainsi déjà arrivé, pour des constructions d’habitations privées, que des préfets saisissent la justice comme ce fut le cas dans la petite ville de Lucciana en Haute-Corse en 2017 où le préfet s’opposa à la décision du maire de vendre et rendre constructible une parcelle contenue dans le PPRIF.
Une autorisation de vente finalement accordée par la cour administrative d’appel de Marseille qui jugea que ladite parcelle se trouvait à proximité de plusieurs points d’eau et "dont l’environnement immédiat était faiblement boisé".
Incendie des Argériès 12 septembre 2018
En tout, les incendies représentent 6% des interventions des pompiers. Dans l’ordre, le site des soldats du feu énonce : "Les feux d'habitation représentent la plus grande part, suivis de près par les feux sur voie publique, puis par les feux de véhicules et les feux de végétation."
Pour combattre les incendies, de nombreuses technologies sont développées comme des canadairs plus puissants, des drones, l’élaboration de produits chimiques destinés à retarder la propagation des feux…
Des accords internationaux ont également été établis entre les différents pays d’Europe pour agir vite en cas d’incendies comme ça a été le cas en Sardaigne (Italie), pas plus tard que ce 25 juillet où la France et la Grèce ont dépêché des canadairs à la suite de violents incendies.
“Il faut bien insister sur l‘origine humaine des incendies, insiste Florence Vaysse. A plus de 90%, ce sont les gens avec un barbecue, une cigarette ou des travaux à la maison, comme tailler une haie et des étincelles, qui vont déclencher un feu.”
Dès lors, quelles bonnes pratiques adopter face au risque d’incendie ? La Région Sud a consigné les bons gestes à adopter pour lutter contre les incendies dans son plan climat régional baptisé "Guerre du feu" et adopté en 2017, à la suite des incendies ravageurs dans le Var et les Alpes-Maritimes.
Information et sensibilisation du public y tiennent une place de taille avec, notamment, la mise en place d’une Garde régionale forestière, composée de 169 jeunes cette année et chargée de sensibiliser habitants et touristes au risque incendie.
“Il y a des choses que vous pouvez faire vous-même”, précise le site de la Région Sud qui insiste sur le débroussaillage à domicile, mais aussi dans les différentes communes, “la présence de broussailles étant souvent une cause de progression rapide des incendies”.
Quant à ceux qui partent en balade, elle recommande de vérifier l’accès aux massifs autorisés avant de se mettre en route ainsi que le respect de bonnes pratiques une fois sur place, comme, par exemple, ne pas jeter de cigarette ou ne pas faire de feu à moins de 200 mètres d’un massif.
Pour les plus technologiques et ceux qui voudraient avoir des informations à portée de main, une application est par ailleurs proposée par l’association l’Entente pour la forêt méditerranéenne. Baptisée "Prévention incendie", elle est disponible sur iPhone et Androïd et permet au grand public de connaître les modalités d’accès aux massifs forestiers en fonction du niveau de risque incendie.