par Sonia Bonnin
Une fois de plus, l’année 2022 a marqué un tournant. Après les épisodes de chaleur à terre, c’est désormais aux eaux de la Méditerranée de connaître des pics d’une rare intensité.
"Nous savons que l’océan se réchauffe, de façon plus rapide et plus significative que prévu, c’est un marqueur clair. Mais cet été, on a connu en Méditerranée, des vagues de chaleur. On a utilisé l’image “d’incendies sous la mer”." Ces mots sont ceux de François Houllier, biologiste et directeur général de l’Ifremer (Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer).
"Une mer plus chaude menace tout ce qui fait l'originalité de la biodiversité méditerranéenne"
François Houllier, biologiste et directeur général de l’Ifremer
Les températures ont grimpé de +4 à +6°C au-dessus des températures habituelles. Le seuil d’une eau à plus de 30°C a été dépassé, des valeurs records. Une mer caribéenne, ce n’est pas sans conséquences. Sur nos rivages, "cela menace tout ce qui fait l’originalité de la biodiversité méditerranéenne, certains coraux profonds, les gorgones…", poursuit François Houllier.
En août 2022, l’alerte a été lancée par les parcs nationaux de Méditerranée qui ont constaté un épisode de forte mortalité de ces "forêts sous-marines". Facilement visibles par leurs branches mortes, devenues blanches.
L’Ifremer, le CNRS, le Conseil scientifique de Barcelone (CSIC), le parc naturel de Port-Cros ont initié un vaste inventaire de la mortalité, complété "de prélèvements, pour comprendre les facteurs impliqués", détaille Stéphane Sartoretto, biologiste au laboratoire Environnement ressources Provence Azur Corse de l’Ifremer.
"Le facteur originel est l'anomalie thermique, pendant plusieurs semaines"
Stéphane Sartoretto, biologiste à l’Ifremer
Au cœur de cette étude, gorgone pourpre, blanche, jaune, corail rouge… "entre la surface et 30 m de profondeur, qui est la limite des épisodes de mortalité cette année". D’ores et déjà, "le facteur originel est l’anomalie thermique, avec une température élevée, jusqu’à 28 °C, pendant plusieurs semaines."
Un graphique de l'Ifremer montre la température de l'eau, au large du cap Sicié, de mai à décembre 2022. Depuis la surface (o mètre), jusqu'à 50 mètres de profondeur. Les températures de l'eau de mer vont de 13°C (en bleu foncé) à plus de 27°C (rouge).
Le premier épisode de ce type, qui fut documenté, remonte à 1999. Mais depuis, il y en a eu plusieurs. "En 2014, une anomalie thermique observée en automne avait été suivie d’un épisode de mortalité de gorgones", analyse le chercheur. À 50m de profondeur, l’eau était restée à une température de 22 °C, en plein mois d’octobre.
Ce sont bien des piliers de la vie marine qui sont menacés. Avec les herbiers de posidonie, eux aussi en régression, les gorgones font partie des "espèces ingénieur", c'est à dire, qui ont un fort impact sur leur environnement et permettent à d’autres espèces de se développer. Les lumineuses gorgones grandissent de 1 à 3 cm par an. Mais une eau trop chaude les fait mourir subitement.
Les masses d'eau se réchauffent aussi dans les abysses, jusqu'à 4.000 ou 6.000 mètres
Aujourd’hui, les scientifiques se rendent compte que "les masses d’eau se réchauffent aussi dans les abysses, jusqu’à 4.000 ou 6.000 mètres", poursuit François Houllier. Là où les écosystèmes sont encore méconnus.
"Le problème est la récurrence et l’importance de ces vagues de chaleur marine, analysent les chercheurs. Cette fréquence élevée affecte de nombreuses espèces méditerranéennes dont beaucoup ont de faibles capacités de résilience. On peut s’attendre à un chamboulement des écosystèmes côtiers entre 0 et 40 m."
Le terme "tropicalisation" est utilisé pour décrire ce mécanisme.
"La mer Méditerranée va se tropicaliser. Est-ce dramatique?" questionne Vincent Rigaud, directeur de l’Ifremer Méditerranée. "Ce qui est nouveau, c’est la rapidité des évolutions, dans une mer fermée, cela amplifie les phénomènes."
Les espèces exotiques, dites invasives quand elles en supplantent d’autres, continuent d’être répertoriées: on connaît déjà poisson lapin, poisson lion ou le vorace crabe bleu qui colonise les étangs occitans. "On commence à imaginer exploiter ce crabe pour l’alimentation. Quant au poisson lapin, il est mangé dans l’océan indien, il finira par être exploité en Méditerranée, il faut trouver des débouchés."
Mer fermée, la Méditerranée est "sous pression mais, vu les pressions très fortes qu’elle subit elle reste relativement résiliente".
"Les stations d'épuration ont permis de réduire les rejets" - Vincent Rigaud, directeur de l’Ifremer Méditerranée
L’évolution drastique de la réglementation a fait baisser la contamination des eaux. “Les aménagements à terre, comme les stations d’épuration, ont permis de réduire les rejets. Si vous vous baignez sur les plages aujourd’hui, vous avez moins de risque de chopper des staphylocoques qu’il y a 25 ans”, estime Vincent Rigaud.
Mais la pollution par “les débris plastiques” reste un fort sujet d’inquiétude. Pas de continent de plastique caché en Méditerranée, mais les profonds canyons sont jonchés de plastique “jusqu’en Corse”.
“Cette pollution est visible et documentée, mais nous travaillons aussi sur ce qui ne se voit pas. Les traces de pesticides dans les écosystèmes marins, avec l’Inrae. Il y en a moins que dans les rivières, moins que dans les sols, moins si on s’éloigne des estuaires. Mais on ignore les effets en cascade, les cascades d’impacts de toutes ces contaminations chimiques sur la biodiversité.”
Parmi les transformations complexes qui se produisent, une illustration concrète: "Depuis une dizaine d’années, une réduction de la taille des sardines est observée dans le golfe du Lion." En moyenne, elles sont passées de 15 à 11cm de long, pour un poids de 30 à 10grammes. En aurait-on trop pêché ? Un raisonnement hâtif aurait pu incriminer la pêche professionnelle.
Le plancton de plus petite taille s'est révélé moins nourrissant pour les sardines
Les chercheurs ont voulu vérifier et le résultat fut étonnant. Le "rétrécissement" des sardines est lié au plancton dont elles se nourrissent, celui-ci étant devenu de plus petite taille. "Une sardine recevant des aliments de petite taille doit avoir une double portion de plancton pour grandir comme une sardine avec des aliments de grande taille", a établi l’Ifremer.
Question subsidiaire, pourquoi le plancton a-t-il lui-même subi cette évolution ? "Il y a deux types de cause, la température du bassin et la modification des régimes hydriques des grands fleuves qui se jettent dans la Méditerranée." Ces observations rappellent deux grands principes : la complexité, ou la subtilité, des interactions dans le système vivant. Et l’interdépendance de ces phénomènes.
Depuis le port de La Ciotat, le premier prud'homme de pêche n’avait jamais vu de barracudas dans ses jeunes années. "Maintenant, c’est à bloc, ils sont installés et on en sort dans nos pêches, qui pèsent plusieurs kilos", illustre Gérard Carodano, bientôt 68 ans. Le pêcheur professionnel est aussi le témoin inquiet de la mortalité provoquée par les vagues de chaleur. "Les gorgones, jusqu’à 38 mètres de fond, le corail rouge, les éponges grises… C’est un cataclysme. Il ne faudrait pas que cela se reproduise plusieurs années de suite."
Et si planter des arbres permettait de lutter contre la sécheresse induite par le changement climatique ? L’idée n’est pas si saugrenue, à en croire une publication parue le 5 juillet dans la revue Nature Geoscience. “Une nouvelle étude a révélé que la conversion de terres agricoles en forêts augmenterait les pluies estivales de 7,6 % en moyenne”, rapporte la BBC.
Les chercheurs de l’Institut des sciences du climat et de l’atmosphère de Zurich ainsi qu’une ingénieure britannique ont utilisé un modèle statistique fondé sur des données d’observation en forêt pour estimer la façon dont la couverture forestière influence la pluviométrie sur l’ensemble du continent, précise le média public britannique.
Ils en ont déduit qu’avec une augmentation de 20 % la surface forestière les précipitations augmenteraient dans les régions côtières en hiver et, surtout, dans les régions venteuses en été. Un résultat intéressant, alors que le dérèglement climatique fait craindre une augmentation et une intensification des épisodes de sécheresse.
Les raisons de ce phénomène sont encore incertaines. Parmi les possibilités, souligne la BBC : le fait que l’air nuageux reste plus longtemps au-dessus des zones boisées, la nature plus “rugueuse” des arbres pouvant déclencher la pluie, et la tendance des nouvelles forêts à évacuer davantage d’humidité dans l’atmosphère que les terres agricoles.
Pour autant, les chercheurs balaient de la main l’idée que la reforestation puisse suffire à lutter contre le dérèglement climatique. D’une part, reboiser dans un pays peut affecter la météorologie d’un pays voisin. D’autre part, cela ne compensera pas l’influence des émissions de gaz à effet de serre d’origine anthropique. Enfin, les auteurs soulignent que la plantation d’arbres peut avoir des conséquences négatives, en particulier dans les zones où le dérèglement climatique a déjà intensifié les précipitations.
Publié le 07 mai 2021 à 18h00 Par Sophie Casals
Pour rendre les étés plus vivables en ville et lutter contre la pollution de l'air, la végétation est essentielle. Or c'est aujourd'hui qu'on plante les arbres qui rendront nos villes moins étouffantes en été dans 20 ans. Faut-il continuer à choisir des platanes, pins et palmiers ? Privilégier des essences plus adaptées aux besoins ? Lesquelles ?
Les arbres, par l'ombre qu'ils procurent, aident à lutter contre les îlots de chaleur urbains. Or, dans 20 ans, ce phénomène va s'accentuer.
C'est aujourd'hui qu'on plante les essences qui rendront nos villes moins étouffantes en été. "Il faut veiller à planter les bonnes espèces et avoir une vision sur la forêt urbaine dans 20 ou 50 ans", invite Philippe Rossello, géographe et coordinateur du Groupe régional d’experts sur le climat en région Sud (GREC-SUD).
Les platanes ou marronniers, choisis il y a 50 ou 100 ans, ne correspondent plus aux besoins d'aujourd'hui. Le choix doit se porter sur d'autres essences. Voilà pourquoi.
Demain, avec des sécheresses plus longues et plus fréquentes dans la région, les ressources en eau vont diminuer. "On doit se poser ces questions : le type d'arbre que je plante résiste-t-il au stress hydrique et provoque-t-il de l'évapotranspiration." L'humidité que génèrent les plantes permet de rafraîchir l'air. L'effet peut aller de 0,5°C à 2°C. "Or, par exemple, le pin d'Alep qui colonise la forêt méditerranéenne, a une faible évapotranspiration."
Par ailleurs, les arbres qui procurent de l'ombre doivent être privilégiés.
"Le palmier est décoratif mais il n'est pas le plus efficace pour l'ombre, et comme le pied est très haut, on a moins cet effet de fraîcheur," note Antoine Nicault, coordinateur du GREC-SUD.
Autre critère de sélection : la capacité à filtrer l'air. L'arbre absorbe le CO2 de l'atmosphère et capte d'autres polluants.
"Il faut retenir des espèces qui ont la capacité d'éliminer ces particules en suspension", poursuit Philippe Rossello.
Or certains arbres émettent des composés chimiques volatils (COV) qui peuvent contribuer à dégrader la qualité de l’air. Ils jouent un rôle amplificateur dans la pollution urbaine à l’ozone pendant les périodes de fortes chaleurs, révèle une étude réalisée par l'Université de Berlin, qui cite parmi les arbres les plus émetteurs : le platane.
Les arbres à privilégier sont donc, des arbres à feuillage caduc, avec peu de branchages, qui n'apportent pas de nouveaux allergènes et répondent à ces deux enjeux majeurs de la pollution de l'air et du réchauffement climatique.
"L'érable, le cèdre de l'Atlas, l'aubépine et le charme commun", liste Philippe Rossello.
Mais il n'est pas question de faire table rase des platanes, marronniers et pins qui ombragent nos villes depuis des décennies.
"On va juste petit à petit intégrer ces nouvelles espèces", poursuit le géographe.
Planter plusieurs variétés permet au peuplement d'arbres de résister à la chaleur. Ces espèces mixtes vont ainsi se protéger entre elles.
Il conseille d'éviter le cyprès, particulièrement allergène.
"Le long des grands axes de circulation pour protéger les habitations mitoyennes des afflux de polluants, mais aussi dans les zones piétonnes, à proximité des écoles, des maisons de retraite, des hôpitaux", expliquait Pascal Mittermaier en charge de la place de la nature au sein des villes pour Nature Conservancy, à nos confrères du Monde.
Et veiller à ne pas planter de manière trop dense pour que les polluants ne se concentrent pas sous les arbres, à hauteur des piétons.