En utilisant une technique de scanner en trois dimensions, des chercheurs britanniques estiment que les forêts du Royaume-Uni stockeraient plus de carbone que ce que l’on pensait.
Dans Richmond Park, à Londres, en Angleterre, le 1er décembre 2022. PHOTO TOBY MELVILLE-REUTERS
Une étude parue dans Ecological Solutions and Evidence révèle que le poids des arbres au Royaume-Uni aurait été sous-estimé, et, par la même occasion, leur contribution en matière de stockage de carbone.
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Les chercheurs ont scanné près de 1 000 arbres dans la forêt de Wytham (Oxfordshire) pour obtenir une image en trois dimensions de chacun d’eux. “Cela a donné une mesure du volume de chaque arbre, ce qui a permis aux scientifiques de calculer la quantité de carbone capturé dans les troncs et les branches”, précise la BBC. “Lorsque vous connaissez la densité du bois, vous pouvez convertir le volume en masse, explique Mathias Disney, professeur à l’University College de Londres. La moitié de cette masse se trouve être du carbone, l’autre moitié de l’eau.”
“Les résultats montrent qu’un lopin de forêt britannique pèse deux fois plus que ce que les précédents calculs suggéraient”, peut-on lire sur le site de la BBC.
Selon Mathias Disney, cette découverte indique que, pour chaque km2 perdu de forêt, “nous avons potentiellement perdu deux fois plus de capacité de stockage de carbone que ce que l’on pensait”. De plus, l’étude se penche aussi sur le cas des arbres adultes : l’importance de leur rôle semble difficile à compenser en plantant simplement de nouveaux arbres. “La valeur des vieux arbres est quasiment incalculable, par conséquent, on devrait éviter de les perdre à tout prix, peu importe le nombre d’arbres qu’on souhaite planter. Ces grands arbres sont terriblement importants”, avertit Mathias Disney.
Étés de plus en plus chauds, incendies en série, inondations incontrôlées… le Var et les Alpes-Maritimes sont mis à mal par le dérèglement climatique. Ardemment défendus par les citoyens, brandis par les politiques comme moyen de lutte contre le dérèglement climatique, les arbres sont au centre des attentions. Mais s’ils peuvent être des alliés précieux contre le réchauffement climatique, ils en sont parfois aussi les premières victimes. Comment trouver un équilibre? Nous avons un mois pour enquêter.
Flora Zanichelli Publié le 04/12/2022
Face au réchauffement climatique, comment faire des arbres nos alliés ? - Photo Sébastien Botella
En août dernier, la ville de Gattières est au cœur d’une polémique. En cause, l’abattage de deux cèdres du Liban pour faire place à une résidence sociale sénior et un parking. Sur les réseaux sociaux, les habitants laissent exploser leur colère.
Quelques semaines plus tôt, c’est à Saint-Paul-de-Vence que le lever de bouclier a eu lieu, après la coupe rase de cyprès et de pins.
Une mobilisation de citoyens qui révèle combien le sujet des arbres est brûlant.
Si cela fait depuis longtemps que la forêt est au cœur de réflexions, les derniers étés, caniculaires, au cours desquels nous avons assisté à des incendies et des hausses de température spectaculaires, ont accéléré les prises de conscience et les réflexions.
“Les arbres ont un rôle essentiel dans la lutte contre le réchauffement climatique”, rappelle Michel Vennetier, ingénieur forestier et écologue, qui a longuement analysé les effets du changement climatique sur la forêt méditerranéenne.
Réduction de la température urbaine, puits de carbone permettant de lutter contre l’effet de serre, lutte contre l’érosion des sols, préservation de la biodiversité, source d’énergies renouvelables, les bienfaits des arbres sont nombreux.
“Non seulement, l’arbre contribue à la beauté de la ville, mais il peut aussi atténuer les conséquences des canicules urbaines en rafraîchissant les rues”, explique Caroline Mollie, paysagiste et auteur du livre “Les arbres dans les villes: l’urbanisme végétal.”
C’est en partie pour cela que Christian Estrosi a inscrit les arbres à l’agenda politique de Nice, promettant une forêt urbaine pour 2025.
Mais si les arbres sont de précieux alliés pour lutter contre le réchauffement climatique, ils en sont aussi les victimes.
“De façon générale, il n’y a plus que très peu d’arbres qui se portent vraiment bien dans la nature”, constate Michel Vennetier.
Chute des feuilles, branches mortes, les conséquences des sécheresses et canicules se font sentir. “Aujourd’hui, les gens ne savent plus à quoi ressemble un arbre en bonne santé”, observe l’écologue.
Caroline Mollie précise: “On ne devrait pas voir le ciel au travers du feuillage”.
Michel Vennetier ajoute : “Les arbres sont également moins réactifs face aux parasites qui eux, parfois, deviennent plus résistants ou attaquent plus de fois dans l’année qu’auparavant. On l’a vu, par exemple, avec le charançon sur les palmiers. ”
“Planter des arbres, c’est bien, mais pas n’importe où et n'importe quoi”, réagissait Pierre Sicard, chercheur “Air et forêt” chez Argans, à Sophia-Antipolis, dans une interview donnée à Nice-Matin le 8 novembre dernier.
Une remarque qui va à contre-courant des promesses souvent faites par les politiques.
En fixant l’objectif de planter 280 000 arbres dans la Métropole d’ici à 2026, le maire de Nice, Christian Estrosi, confirme l’enjeu auprès de ses concitoyens.
Mais il est souvent difficile d’évaluer la portée de telles annonces, estiment plusieurs experts.
“Si vous prenez le problème de l’arbre en ville, explique Caroline Mollie, il faut tenir compte de l’espace qu’on va pouvoir lui donner pour se développer. Pour qu’un arbre se développe, il faut de la terre et de l’espace aérien. Donc planter, oui! Mais où? Et comment? Avec quelles perspectives?”
Trouver un équilibre aussi. Pierre Sicard continue : “[Certains] arbres émettent des composés qui engendrent l’émission de polluants secondaires. Selon les essences que vous allez planter, vous allez parfois dégrader la qualité de l'air.”
En ville, par exemple, planter mobilise experts des espaces verts mais nécessite aussi une bonne connaissance du réseau souterrain, pour que les arbres puissent se développer au mieux, et sous-tend le renouvellement des pratiques, in fine.
“Il faut trouver un équilibre, commente Michel Vennetier qui préconise trois pistes. Éclaircir les forêts, pour laisser de l’espace aux arbres pour se développer, rajeunir en plantant de nouvelles espèces, diversifier les espèces “pour éviter de mettre tous les œufs dans le même panier”.”
Mettre en place une gestion équilibrée qui permette de régénérer la forêt.
“L’idée est aussi de laisser de l’espace à la nature, de lui faire confiance pour s’adapter, de la laisser faire sa propre sélection”, ajoute Michel Vennetier.
“Il faut réfléchir à long terme, commente Caroline Mollie. Un arbre met 10 à 15 ans à se développer, c’est plus long qu’un mandat politique.”
Tous concernés par les arbres? La collecte organisée par l’émission “Aux arbres, citoyens” en faveur des forêts françaises avec 1,8 million d’euros récoltés montre que les Français ont à cœur leur patrimoine vert.
“Souvent, les citoyens disent: il faut planter davantage d'arbres. Mais il faut savoir que dans les villes densément peuplées, l’espace public géré par la municipalité est restreint. Il est de 15 %, le privé représentant 85%“, constate encore Pierre Sicard.
Dès lors, comment agir chez soi?
Certaines collectivités n’hésitent pas à engager leurs administrés à leurs côtés. Comment s’y prennent-elles? A la suite des incendies qui ont ravagé le Var, comment la forêt se reconstruit-elle? Et quel rôle peut-elle jouer pour limiter les effets des feux alors que la menace plane entre sécheresse et canicule? Nous avons un mois pour enquêter.
Dans nos départements du Var et des Alpes-Maritimes, les arbres représentent un enjeu tout particulier. “Avec 1,5 million d'hectares, la forêt en Provence-Alpes-Côte d'Azur représente 9,4% de la forêt française. La région se place en deuxième position nationale pour son taux de boisement (48%, contre 29% en moyenne au niveau national)”, écrit l’ONF sur son site.
En matière de superficie forestière, le Var est le cinquième département de France.
Les Alpes-Maritimes, elles, se classent au quatorzième rang. Mais la surface dédiée à la forêt ne cesse de s’y développer avec une augmentation de 47% depuis 1985 contre 15% pour le Var.
Le bois constitue un matériau essentiel qui permet aux arbres de se dresser vers le ciel pour éviter la concurrence des autres plantes. Sans lumière, il n’y a en effet pas de photosynthèse : la formation de troncs hauts et puissants représente ainsi un trait commun dans la course évolutive des arbres pour occuper une place appropriée au sein de la canopée.
Au cours de l’évolution, le bois a acquis des substances résistantes, difficiles à décomposer pour les champignons et les bactéries. Il lui faut résister aux intempéries et aux attaques d’une multitude d’organismes au cours des centaines, voire des milliers, d’années de la vie d’un arbre.
La décomposition du bois représente ainsi un processus lent qui prend généralement des années ou des décennies selon le type de climat.
Qu’il soit présent dans les troncs, les branches ou les racines, le bois forme le constituant principal de l’arbre (plus de 95 % de sa biomasse). Il contient de nombreux éléments chimiques, pratiquement tous ceux nécessaires à la vie : azote, phosphore, potassium, fer, manganèse… Si leur concentration n’est pas très élevée, la quantité totale de nutriments est toutefois très importante, le bois représentant la principale composante de la biomasse forestière.
La vitesse de décomposition relativement lente du bois constitue d’autre part un avantage : elle permet la libération de ces nutriments petit à petit, favorisant leur réabsorption par les plantes vivantes, assurant un recyclage efficace. Le bois constitue donc un réservoir de nutriments qui maintient la fertilité du sol forestier.
Mais le bois ne fournit pas seulement des nutriments au sol. Il représente également une source de nourriture directe pour de nombreux organismes, champignons ou insectes. Ces derniers viennent nourrir à leur tour nombre d’animaux (oiseaux, mammifères, reptiles…).
On le comprend, le bois mort compose la base d’un réseau alimentaire abritant un très grand nombre d’espèces. La majeure partie de la biodiversité des forêts est ainsi liée, directement ou indirectement, à la présence de ce bois mort et sa décomposition.
Le rôle structurel du bois
Le bois est l’une des structures clés de l’écosystème forestier. Les troncs et les branches tombés modifient les conditions environnementales à petite échelle, comme l’ensoleillement, la vitesse du vent ou l’humidité relative de l’air et du sol. Cela génère une grande variété de microhabitats dans lesquels différentes espèces animales ou végétales pourront s’installer.
Ce rôle structurel du bois intervient également dans la protection contre les herbivores, en agissant comme une barrière physique pour favoriser la régénération des forêts. Il fournit également de la matière organique au sol, ce qui améliore sa texture, sa porosité et de nombreux autres paramètres physiques indispensables à la croissance des plantes.
Si le bois mort est essentiel au fonctionnement de la forêt, il est toutefois très courant dans la gestion forestière de l’enlever, en particulier après des perturbations telles que les incendies, les ravageurs ou les tempêtes.
Nous nous sommes tellement habitués à ce traitement que les citoyens eux-mêmes réclament souvent l’enlèvement des arbres morts après de telles perturbations. Cette activité qui contribue à l’exploitation du bois est pratiquée depuis des décennies sur tous les continents, et notamment dans la région méditerranéenne.
Si les raisons invoquées pour retirer le bois après une perturbation peuvent varier selon les régions du monde, l’une des principales justifications reste la vente.
Mais, dans de nombreux cas, cette finalité commerciale demeure absente ou empêchée : le bois est de qualité insuffisante, la zone est protégée… et pourtant le bois est récolté. On avance que l’enlèvement du bois aidera les travaux futurs dans la zone (en facilitant le passage du personnel et des machines), évitera le risque d’accidents dus à la chute d’arbres, réduira le risque d’incendie et celui de parasites qui peuvent affecter les parties non brûlées ou partiellement brûlées.
Toutes ces raisons ont été fortement remises en cause par des études récentes menées dans différentes parties du monde ; elles ont montré que les arguments utilisés pour retirer le bois après des perturbations dépendent du contexte et ne sont pas toujours justifiés.
Par exemple, la relation de cause à effet entre la présence de bois et l’augmentation de l’incidence des incendies n’a pas été démontrée ; il existe même des preuves d’un risque accru d’incendie après l’enlèvement du bois, notamment lorsque des matériaux inflammables (copeaux de bois, fines brindilles) sont générés.
Le risque de voir apparaître des insectes xylophages dépend également du type de perturbation. Dans le cas des incendies de forêt (la perturbation la plus courante dans le bassin méditerranéen), les arbres brûlés ne constituent pas un substrat pour les insectes nuisibles – ceux-ci se nourrissent d’arbres vivants, mais affaiblis – de sorte que l’élimination généralisée des arbres morts n’est pas justifiée.
Enfin, les accidents peuvent être évités en adoptant des mesures de sécurité, comme l’abattage des arbres morts dans les zones les plus visitées et fréquentées, ou la réalisation de travaux de restauration lorsque le risque de chute d’arbres est moindre.
La recherche écologique montre ainsi clairement que le bois mort reste un élément essentiel du fonctionnement des forêts, qui favorise leur régénération après des perturbations et accélère la récupération des services écosystémiques qu’elles fournissent. Il faut donc faire évoluer les politiques de gestion du bois mort pour lui permettre, totalement ou en partie, de rester là où il est.
Débattue actuellement au Sénat, la loi 4D sur la décentralisation contient une disposition qui enrage les écologistes : la simplification de l’abattage des arbres d’alignement, qui bordent nos routes et nos boulevards. La raison ? Ils gênent la construction d’infrastructures.
Que le temps où un président de la République vantait la beauté des arbres semble loin. En 1970, dans une lettre à son Premier ministre, George Pompidou regrettait que « les arbres n’aient pas de défenseurs » et qu’ils se fassent « détruire systématiquement » dans « une profonde indifférence ». « La France n’est pas faite uniquement pour permettre aux Français de circuler en voiture, et, quelle que soit l’importance des problèmes de sécurité routière, cela ne doit pas aboutir à défigurer son paysage », écrivait-il avant d’appeler à « sauvegarder tous les arbres plantés en bord de routes ».
Cinquante ans plus tard, malgré la prise de conscience écologique, les coupes d’arbres continuent. Pire, l’attitude de nos gouvernants vis-à-vis de la nature s’est dégradée, nourrie par les faux semblants et l’hypocrisie. Dernière attaque ? La loi « 4D » [1] débattue depuis mercredi 7 juillet au Sénat. Le gouvernement a profité de ce texte sur la décentralisation pour introduire une disposition complètement hors sujet qui vise à « simplifier » l’abattage des arbres d’alignement, qui bordent nos routes et nos boulevards. C’est un petit article [2], glissé en douce, noyé au milieu de quatre-vingt-trois autres, perdu dans le flot des propositions.
Les arbres d’ornement ont des fonctions écologiques. Ils stabilisent les sols, purifient l’air et atténuent les îlots de chaleurs. Wikimedia Commons/CC BY 2.0/Jeanne Menjoulet
Pour les associations écologistes, son inscription dans la loi 4D ne doit rien au hasard. Le texte de loi, maintes fois reporté et très technique, n’enflamme pas les foules. « C’est une manière de passer inaperçu, estime Morgane Piederriere, responsable du plaidoyer à France Nature Environnement. Ça n’aurait pas eu le même écho médiatique d’intégrer cette disposition dans la loi Climat, par exemple. »
« Les allées d’arbres sont comme des forêts en ligne »
Par ce texte, le gouvernement entend modifier l’article L350-3 du Code de l’environnement qui protège les arbres d’alignement. Pour les écologistes, ces arbres sont très précieux. « Ce sont les héritiers de plantations débutées dès le XVIe siècle, raconte George Feterman, président de l’association Arbres. Ils ont autant un rôle d’ornement que des fonctions écologiques. Ils stabilisent les sols, purifient l’air et atténuent les îlots de chaleur. De plus, ces arbres sont souvent âgés et abritent un biotope particulier. Je les vois comme des forêts en ligne. »
Mais avec la loi 4D, la situation risque de se détériorer. L’exécutif souhaite introduire de multiples dérogations pour faciliter l’abattage des allées d’arbres en cas de travaux. Il réduit aussi le périmètre d’application de l’article L350-3 en le cantonnant aux voies publiques et pas aux accès privés ; et laisse, in fine, le préfet décider du sort des arbres face à des projets d’aménagement. Dans une lettre adressée à l’exécutif, France Nature Environnement déplore « ces nombreux reculs » qui « vont à l’encontre des préoccupations des Français et des Françaises sur l’écologie ». La navette parlementaire ne fait que commencer et le texte doit encore être examiné par l’Assemblée nationale.
Anecdote cocasse : à l’origine, l’article L350-3 du Code de l’environnement est issu d’une loi de 2016 portée par Barbara Pompili elle-même. Elle était alors secrétaire d’État à la biodiversité sous le quinquennat de François Hollande. Comme pour les néonicotinoïdes, l’actuelle ministre de la Transition écologique participe au détricotage de son propre travail.
En 2016, l’adoption de cet article n’avait pas été une mince affaire. Il avait été arraché après une âpre bataille. D’abord rejeté puis réintroduit par un amendement parlementaire en seconde lecture au Sénat, l’article avait fait rager les aménageurs. Barbara Pompili ne l’avait d’ailleurs soutenu que du bout des lèvres, tant celui-ci ouvrait une brèche dans le droit en apportant un premier statut juridique à l’arbre.
« La France est en retard dans la protection des arbres »
Le texte de loi considérait les allées qui bordent les voies de communication comme « un patrimoine culturel », source d’aménités et de protection pour la biodiversité. Mieux, il interdisait « le fait d’abattre, de porter atteinte, de compromettre la conservation ou de modifier radicalement l’aspect d’un ou de plusieurs arbres d’alignement » — sauf en cas de danger sanitaire ou de sécurité, évidemment. Il évoquait aussi de possibles dérogations pour « des projets de construction » et obligeait dans ce cas à compenser les coupes.
« Cet article est venu rattraper le retard de la France en matière de protection des arbres, remarque Chantal Pradines, experte auprès du Conseil de l’Europe. Cela faisait plus vingt ans que d’autres pays européens avaient déjà pris des mesures équivalentes. »
Les militants écologistes se sont vite emparés de cette arme législative pour faire reculer les bétonneurs. Et ont remporté plusieurs victoires. Sa simple mention faisait frémir des municipalités un peu trop portées sur la tronçonneuse et peu enclines à se lancer dans de longues procédures judiciaires. À Gien, en 2017, au bord de la Loire, des dizaines de platanes ont ainsi été sauvés à la suite d’une décision du tribunal administratif d’Orléans évoquant l’article L350-3 du Code de l’environnement. Victoire, à nouveau, à Chatelaillon-Plage en Charente-Maritime ou à Toulouse en 2018. « Les collectifs d’opposants l’agitaient comme un chiffon rouge et souvent ça fonctionnait », relate l’avocate Cécile Annoodt, qui a déposé plusieurs recours.
La fronde était lancée. En août 2019, l’arboriste-grimpeur Thomas Brail passait plus de vingt jours accroché à un arbre en face du ministère de la Transition écologique pour exiger « le respect de l’article L350-3 ». Le Groupe national de surveillance des arbres (GNSA) était créé et des parlementaires, comme Joël Labbé ou Sabine Rubin demandaient au gouvernement de mettre en place des sanctions pénales en cas d’infraction au présent article.
Le canal du Midi. Wikimedia Commons/CC BY 2.5/Peter Gugerell
Tout récemment, encore, le 21 juin 2021, le Conseil d’État a donné un avis qui pourrait inquiéter les aménageurs. Il a considéré que la légalité d’une autorisation d’urbanisme (type permis de construire) impliquant l’abattage d’arbres inclus dans une allée ou un alignement d’arbres devait être appréciée au regard des dispositions de l’article L350-3 du Code de l’environnement.
« Le gouvernement veut sécuriser les projets d’infrastructures »
On comprend donc bien que le gouvernement ait voulu rétropédaler et modifier l’article. D’après une source interne au sein d’un cabinet ministériel, que Reporterre a contactée, c’est à la suite de recours juridiques contre l’abattage d’arbres dans le cadre du projet de contournement autoroutier du GCO à Strasbourg que l’exécutif a décidé de réagir. C’était en 2018. Il a ensuite cherché le meilleur véhicule pour faire passer la disposition et a opté pour la loi 4D.
Le ministre délégué aux transports, Jean-Baptiste Djebarri, est le premier à être publiquement parti à la bataille. Au Sénat, il s’est plaint que certains projets « n’émergent jamais vraiment comme des serpents de mer ». Il a affirmé vouloir « sécuriser les projets d’infrastructures » et s’est félicité de la modification de l’article L350-3 du Code de l’environnement.
« Les projets d’utilité publique sont ceux qui privilégient les arbres et leurs bienfaits », dit l’arboriste grimpeur Thomas Brail. © Alain Pitton/Reporterre
Le gouvernement ne cache pas ses intentions. L’exposé des motifs de la loi est limpide. Selon les éléments de langage, la modification de l’article L350-3 du Code de l’environnement vise à « clarifier le régime de protection des alignements d’arbres ». Dans ses objectifs, le texte ne mentionne pas les enjeux environnementaux, il affirme au contraire vouloir « sécuriser les porteurs de projets » pour « limiter les risques de contentieux qui peuvent nuire [à leur] bon déroulement ». L’étude d’impact du projet de loi évoque aussi « des recours contentieux qui ralentissent inutilement les délais de réalisation des infrastructures routières faute d’un régime clair et précis ».
Pour les écologistes, la position de l’exécutif est plus que rétrograde. « Il faut arrêter, s’exclame Thomas Brail, du GNSA. Les projets d’utilité publique, ce ne sont plus les projets d’agrandissement de route qui privilégient encore et toujours l’automobile mais les projets qui préservent les arbres et leurs bienfaits. Il n’y a que ce gouvernement pour ne pas le comprendre. »
[1] Pour « déconcentration, décentralisation, différenciation, décomplexification ».
[2] L’article 62.
Lire aussi sur le site de Allées Avenues : En attente du décret d'application de l'article L350-3 du code de l'environnementEn attente du décret d'application de l'article L350-3 du code de l'environnement
Publié le 07 mai 2021 à 18h00 Par Sophie Casals
Pour rendre les étés plus vivables en ville et lutter contre la pollution de l'air, la végétation est essentielle. Or c'est aujourd'hui qu'on plante les arbres qui rendront nos villes moins étouffantes en été dans 20 ans. Faut-il continuer à choisir des platanes, pins et palmiers ? Privilégier des essences plus adaptées aux besoins ? Lesquelles ?
Les arbres, par l'ombre qu'ils procurent, aident à lutter contre les îlots de chaleur urbains. Or, dans 20 ans, ce phénomène va s'accentuer.
C'est aujourd'hui qu'on plante les essences qui rendront nos villes moins étouffantes en été. "Il faut veiller à planter les bonnes espèces et avoir une vision sur la forêt urbaine dans 20 ou 50 ans", invite Philippe Rossello, géographe et coordinateur du Groupe régional d’experts sur le climat en région Sud (GREC-SUD).
Les platanes ou marronniers, choisis il y a 50 ou 100 ans, ne correspondent plus aux besoins d'aujourd'hui. Le choix doit se porter sur d'autres essences. Voilà pourquoi.
Demain, avec des sécheresses plus longues et plus fréquentes dans la région, les ressources en eau vont diminuer. "On doit se poser ces questions : le type d'arbre que je plante résiste-t-il au stress hydrique et provoque-t-il de l'évapotranspiration." L'humidité que génèrent les plantes permet de rafraîchir l'air. L'effet peut aller de 0,5°C à 2°C. "Or, par exemple, le pin d'Alep qui colonise la forêt méditerranéenne, a une faible évapotranspiration."
Par ailleurs, les arbres qui procurent de l'ombre doivent être privilégiés.
"Le palmier est décoratif mais il n'est pas le plus efficace pour l'ombre, et comme le pied est très haut, on a moins cet effet de fraîcheur," note Antoine Nicault, coordinateur du GREC-SUD.
Autre critère de sélection : la capacité à filtrer l'air. L'arbre absorbe le CO2 de l'atmosphère et capte d'autres polluants.
"Il faut retenir des espèces qui ont la capacité d'éliminer ces particules en suspension", poursuit Philippe Rossello.
Or certains arbres émettent des composés chimiques volatils (COV) qui peuvent contribuer à dégrader la qualité de l’air. Ils jouent un rôle amplificateur dans la pollution urbaine à l’ozone pendant les périodes de fortes chaleurs, révèle une étude réalisée par l'Université de Berlin, qui cite parmi les arbres les plus émetteurs : le platane.
Les arbres à privilégier sont donc, des arbres à feuillage caduc, avec peu de branchages, qui n'apportent pas de nouveaux allergènes et répondent à ces deux enjeux majeurs de la pollution de l'air et du réchauffement climatique.
"L'érable, le cèdre de l'Atlas, l'aubépine et le charme commun", liste Philippe Rossello.
Mais il n'est pas question de faire table rase des platanes, marronniers et pins qui ombragent nos villes depuis des décennies.
"On va juste petit à petit intégrer ces nouvelles espèces", poursuit le géographe.
Planter plusieurs variétés permet au peuplement d'arbres de résister à la chaleur. Ces espèces mixtes vont ainsi se protéger entre elles.
Il conseille d'éviter le cyprès, particulièrement allergène.
"Le long des grands axes de circulation pour protéger les habitations mitoyennes des afflux de polluants, mais aussi dans les zones piétonnes, à proximité des écoles, des maisons de retraite, des hôpitaux", expliquait Pascal Mittermaier en charge de la place de la nature au sein des villes pour Nature Conservancy, à nos confrères du Monde.
Et veiller à ne pas planter de manière trop dense pour que les polluants ne se concentrent pas sous les arbres, à hauteur des piétons.