Été 2020, monoculture d’épicéas morts en Argonne, région naturelle chevauchant les départements de la Marne, des Ardennes et de la Meuse (sept. 2020). Sylvain Gaudin, CC BY-NC-ND
Car la forêt française est aujourd’hui en crise : depuis deux décennies, on assiste en effet à une mortalité croissante des peuplements forestiers et à une baisse globale de leur productivité. Si la surface boisée en France métropolitaine ne cesse de croître depuis le milieu du XIXe siècle, c’est en raison du boisement – spontané ou artificiel – de terres agricoles, car la superficie occupée par des forêts anciennes, elle, ne cesse de diminuer.
Ce « dépérissement », est généralement attribué aux modifications climatiques. Les sécheresses estivales récurrentes fragilisent les arbres et la douceur hivernale favorise les pullulations de bioagresseurs, en particulier les scolytes et les hannetons.
Le changement climatique en est sans aucun doute une cause essentielle, mais il est aussi le révélateur d’écosystèmes forestiers fragilisés par des décennies de pratiques sylvicoles focalisées sur la production de bois. Non seulement la forêt française fixe moins de carbone par unité de surface, mais l’exploitation des peuplements dépérissants induit des émissions supplémentaires de CO₂ aggravant l’effet de serre et les changements climatiques associés.
Dans un tel contexte, adapter la forêt française est plus qu’une nécessité, c’est une urgence.
Les forêts ne sont pas des champs d’arbres, mais des écosystèmes avec de multiples interactions entre les différentes composantes.
Le promeneur a tôt fait de constater que les descentes de cimes et les mortalités de masse concernent surtout des plantations monospécifiques, constituées d’arbres de même âge, correspondant souvent à des essences introduites hors de leur territoire d’indigénat.
C’est le cas de nombreuses plantations d’épicéa en plaine, tandis que les pessières naturelles d’altitude résistent plutôt bien. Les premières constituent des peuplements simplifiés sensibles aux aléas climatiques (tempêtes, sécheresses, incendies) et aux attaques de bioagresseurs (insectes, champignons…), tandis que les secondes, beaucoup plus hétérogènes et diversifiées, sont plus résilientes.
Même s’il existe une sensibilité propre à chaque essence et à chaque situation stationnelle, les impacts directs et indirects du dérèglement climatique sont modulés par l’intégrité fonctionnelle de l’écosystème forestier, qui est elle-même largement influencée par la sylviculture.
Adapter la forêt, c’est agir sur la santé de l’écosystème et non simplement remplacer des arbres mourants par d’autres. C’est un traitement de fond des causes du dépérissement qu’il faut entreprendre et non un simple traitement des symptômes. La forêt ne peut plus être réduite à ses arbres et à sa fonction de production : seule une vision écosystémique peut être salvatrice.
Le principal levier permettant d’adapter la forêt française repose sur la promotion de pratiques sylvicoles prenant davantage en compte le fonctionnement des écosystèmes forestiers dans leur ensemble ; cela pour améliorer durablement leur état de santé, leur résilience, et accroître leur capacité à séquestrer et à stocker du CO2.
D’abord, il faut réserver chaque essence à des stations présentant des conditions optimales pour elle, actuellement et en prenant en compte l’évolution modélisée du climat sur des pas de temps cohérents avec le cycle sylvicultural. Il faut aussi privilégier les peuplements mélangés (plusieurs essences) et structurellement hétérogènes (plusieurs hauteurs et formes de houppiers), de manière à renforcer la résistance aux aléas météorologiques et aux attaques de bioagresseurs.
Forêt mélangée des Vosges du Nord - sept. 2021. Evrard de Turckheim, CC BY-NC-ND
Privilégier la régénération naturelle permet d’accroître la diversité génétique soumise à la sélection naturelle et les capacités d’adaptation locale, contrairement aux plantations. Cela implique une meilleure gestion de l’équilibre sylvo-cynégétique, notamment en favorisant la végétation accompagnatrice qui protège les plants sensibles et fournit une ressource alimentaire alternative.
Il existe déjà des modes de sylviculture mettant en œuvre ces principes, comme la futaie irrégulière ou jardinée. Ce type de sylviculture n’est pas nouveau, il a été adopté depuis 2017 par l’Office national des forêts pour toutes les forêts publiques franciliennes afin d’éviter les « coupes à blanc ».
Coupe à blanc d’une parcelle de Douglas dans une forêt de l’Oise. Guillaume Decocq, CC BY-NC-ND
Face aux sécheresses récurrentes, il faut adapter la densité des peuplements au bilan hydrique de la station et préserver l’alimentation en eau des sols, y compris en limitant leur tassement.
Plus généralement, accroître la résilience des forêts nécessite de favoriser la biodiversité au sein de tous les compartiments de l’écosystème. Celle-ci est encore trop souvent perçue comme une contrainte pour le forestier, comme un obstacle à la gestion, alors même que c’est son assurance sur le long terme pour maintenir la fertilité des sols, la résistance aux bioagresseurs et, in fine, la capacité de production de bois.
Plusieurs documents de planification, comme les Plans régionaux Forêt-Bois (PRFB) considèrent un peu hâtivement que les essences indigènes ne sont plus adaptées au « nouveau » climat. Cette vision fixiste du monde vivant oublie que les essences forestières européennes ont déjà connu bien des changements climatiques (notamment un Petit Âge glaciaire et un Optimum médiéval). Pire, elle ignore nombre de travaux scientifiques récents qui mettent en lumière des capacités d’adaptation insoupçonnées des arbres.
Au moins trois ensembles de mécanismes permettent l’adaptation spontanée des arbres en environnement changeant : les mécanismes génétiques, via la sélection naturelle qui agit sur le long terme, ce qui nécessite une certaine diversité génétique ; les mécanismes épigénétiques, qui prédisposent des individus à des conditions environnementales que leurs parents ont vécues, via des marques induites capables de moduler l’expression des gènes et d’induire des mutations ; les mécanismes holobiontiques, via les symbioses issues de la co-évolution entre l’arbre et son microbiote, ce dernier contribuant à de nombreuses fonctions vitales.
Forêt mélangée dans le Sud amiénois où les épicéas sont épargnés par les attaques de scolytes - oct. 2021. Guillaume Decocq, CC BY-NC-ND
L’efficacité de ces différents mécanismes face à des changements climatiques rapides est encore mal connue, d’où l’intérêt de pouvoir observer la réponse des essences autochtones dans un contexte « naturel », c’est-à-dire hors forêt soumise à la sylviculture.
À cet égard, il est important d’augmenter les superficies d’aires forestières protégées et leur représentativité des différents contextes climatiques et des types de sols, comme souligné dans la contribution du Conseil national de la protection de la nature aux Assises de la forêt et du bois.
Ces espaces à naturalité élevée constituent non seulement des réservoirs de biodiversité préservée, mais aussi des laboratoires grandeur nature pour la compréhension de la biologie des espèces et des dynamiques forestières spontanées, indispensables à l’acquisition de références pour concevoir les itinéraires sylviculturaux de demain.
La prétendue « inadaptation » des essences autochtones justifie le recours à des essences exotiques, venant souvent d’autres continents, dont l’intérêt et l’innocuité sont plus que douteux… L’idée de privilégier les essences naturellement résistantes au stress hydrique serait séduisante, si elle ne faisait pas preuve d’une certaine amnésie (en plus de faire l’impasse sur des millions d’années d’histoire évolutive).
Car l’introduction d’essences exotiques en forêt n’est pas nouvelle. Beaucoup se sont soldées soit par des échecs d’acclimatation, soit par de graves crises écologiques : introductions accidentelles de bioagresseurs exotiques (l’actuelle épidémie de chalarose du frêne en est un exemple parmi des dizaines d’autres), invasions biologiques (le cerisier tardif, jadis vanté pour ses mérites en foresterie est devenu aujourd’hui l’ennemi du forestier), érosion de la biodiversité autochtone (les sous-bois fantomatiques de nombreuses plantations de conifères en plaine en sont un exemple criant) ; ou encore, aggravation des conséquences de certains aléas (les méga-feux que connaît la Péninsule ibérique sont étroitement liés aux plantations d’eucalyptus, très inflammables, et pourtant promues en région méditerranéenne française).
En forêt de Compiègne, invasion par le cerisier tardif - juin 200). Guillaume Decocq, CC BY-NC-ND
Une analyse détaillée de ces risques est présentée dans un livre blanc sur l’introduction d’essences exotiques en forêt, récemment publié par la Société botanique de France.
Les risques associés aux essences exotiques, difficilement prévisibles, mais réels et coûteux pour la société, justifient que les nouvelles plantations soient davantage réglementées. Celles-ci devraient faire l’objet d’une étude d’impact préalable avec analyse de risque.
Plus généralement, il est urgent d’évaluer le rapport bénéfice/risque à moyen et à long terme de ces plantations, et, dans l’attente d’une telle évaluation, de soumettre à un moratoire les mesures politiques et financières incitant leur introduction en forêt.
Cet effort indispensable pour adapter la gestion des forêts aux changements climatiques ne doit pas se limiter aux actions d’ingénierie, mais reposer sur une approche scientifique interdisciplinaire, fondée sur l’ensemble des apports récents des sciences et techniques de la conservation.
La recherche scientifique en écologie forestière en particulier est très mobilisée sur la question des impacts des changements climatiques sur la forêt et des capacités adaptatives des espèces.
Les nombreux résultats de la recherche permettraient d’appuyer les stratégies de gestion et de planification forestières sur des bases scientifiques robustes. Pourtant ces résultats sont jusqu’ici peu ou pas pris en compte par les décideurs.
La gestion durable des forêts ne peut pourtant reposer sur la seule ingénierie, tout comme elle ne peut se réduire aux seuls arbres. Agir en environnement changeant et en univers incertain suppose d’intégrer nos connaissances scientifiques dans tous les domaines, de prendre en compte l’évolution des attentes sociétales et d’actualiser les outils des ingénieurs.
Communes, communautés d'agglomération ou métropoles, c'est le moment de déposer votre programme d'actions pour l'amélioration, la préservation de la biodiversité sur votre territoire. À la clé, si vous êtes retenus par le jury d'experts, un accompagnement par l'Agence régionale pour la biodiversité et l'environnement, notamment dans l'obtention de prérequis facilitant certains financements publics.
Le dispositif est national et la région Sud en force.
Piloté par l’Office français de la biodiversité, l’Agence de l’eau, la DREAL (Direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement) et la région Sud, il est destiné aux communes, communautés de communes, communautés d’agglomération et métropoles, qui souhaitent mettre en place des actions pour préserver la biodiversité sur leur territoire.
1.000 seront ainsi accompagnées d’ici 2022 pour devenir "Territoires engagés pour la nature" (TEN).
Notons que le palmarès de l'édition 2019 a mis en avant l'engouement de la région Sud pour la thématique, avec 27 métropoles, communautés d'agglomération ou de communes nommées TEN par l'Agence régionale pour la biodiversité et l'environnement qui anime l'opération. Ce qui fait de la région Sud, la première au national en nombre de territoires engagés!
Candidatures à déposer avant le 31 décembre 2020 sur https://territoires-durables-paca.org.
À la suite d’une directive européenne sur la restauration des cours d’eau, des centaines de barrages sont démolis en France, au désespoir des pêcheurs et propriétaires de moulins. Ce quotidien britannique s’est rendu en Mayenne, où le Vicoin a perdu tous ses ouvrages.
Le moulin à eau de Montigné-le-Brillant, en Mayenne, un département rural du nord-ouest de la France, alimentait jadis en électricité douze foyers et une usine qui fabriquait de la colle à partir de peau de lapin. Il s’était arrêté il y a quelques dizaines d’années, mais Michel et Marie-Chantal Richard ont décidé de le faire fonctionner à nouveau, après l’avoir acheté en 2007.
Ils n’avaient cependant pas compté avec les fonctionnaires européens et français qui ont décidé de détruire les barrages du Vicoin, la rivière qui traverse la commune. Celle-ci se réduit désormais à un filet à certains endroits, et les moulins ne peuvent plus fonctionner, faute d’eau.
La destruction des barrages est une catastrophe pour les pêcheurs, les propriétaires de moulins et pratiquement tous les usagers de la rivière. Leurs protestations ont été balayées par les autorités, qui sont déterminées à l’étendre à toute la France, au motif que les barrages vont à l’encontre d’une directive européenne sur la “continuité écologique” ...
Le 27 août, Emmanuel Macron a signifié à la fédération nationale qu’il annulait les quotas des captures à la glu. Les chasseurs de Paca se sont réunis à Vinon pour envisager recours et actions.
Déclarée « illégale », parce que « non-sélective », dans la directive « oiseaux » adoptée par le Parlement européen en 2009, la chasse à la glu a bénéficié, ces dernières années, d’une dérogation en faveur des zones de pratique « traditionnelle ». En France, cela concerne principalement cinq départements du Sud-Est: Alpes-de-Haute-Provence (04), Alpes-Maritimes (06), Bouches-du-Rhône (13), Var (83) et Vaucluse (84).
Ce traitement de faveur pourrait ne jamais être reconduit : le 27 août, Willy Schraen, président de la Fédération nationale des chasseurs (FNC), a été reçu à l’Élysée par Emmanuel Macron, qui lui a signifié que les quotas de capture à la glu seront réduits à « zéro », au moins pour pour la saison prochaine, contre 42.000 en 2019.
Vendredi, Barbara Pompili, ministre de la Transition écologique, qui a assisté à la rencontre, a déclaré : « Cela fait longtemps qu’on devait le faire. C’est une mise en conformité avec le droit européen et une bonne nouvelle pour la biodiversité. » Dès son arrivée au ministère, en juillet, elle avait prévenu le président de la FNC de l’imminence de la décision.
Samedi, le temps était venu, pour les chasseurs, de décider des suites à donner, à l’occasion de l’assemblée générale de l’ANDCTG (Association nationale de défense des chasses traditionnelles à la grive), organisée à Vinon-sur-Verdon.
Ils ont notamment annoncé qu’ils engageraient des actions en justice, lanceraient une pétition nationale et manifesteraient, le 12 septembre, à Prades (Pyrénées-Orientales), ville dont le Premier ministre Jean Castex est maire. Ils appellent par ailleurs les élus ruraux à les soutenir et prévoient une « action d’envergure » à l’occasion du congrès de l’UICN ( Union internationale pour la conservation de la nature), prévu du 7 au 15 janvier 2021, au parc Chanot de Marseille.
Il aurait fallu repousser les murs de la salle des fêtes de Vinon, ce samedi, pour accueillir tous les chasseurs venus exprimer leur mécontentement.
Les commentaires allaient bon train entre ces passionnés, exaspérés de l’annonce présidentielle, et qui craignent pour l’avenir de la chasse en général.
Éric Camoin, président de l’Association nationale de défense des chasses traditionnelles à la grive (ANDCTG), se disait « très en colère », tandis qu’Alain Péréa, député de l’Aude (11) et président du groupe « Chasse » à l’Assemblée nationale, recommandait de « ne pas jouer l’agressivité », et ainsi montrer que les chasseurs sont respectueux.
Plus de deux cents chasseurs ont répondu à l’appel, samedi, à Vinon.
"Castex et Macron nous ont menti", selon le patron des chasseurs du Var
Marc Meissel, président de la fédération des chasseurs du Var, est amer. « Nous sommes les cocus de l’affaire », lance-t-il, avant de rappeler que l’annulation des quotas intervient subitement et « sans discussion » après un premier round de négociations entre les chasseurs et l’État, cet été.
En effet, le 7 août dernier, la fédération nationale de chasse avait été reçue à Matignon. Elle avait alors dit son inquiétude face à la nomination de l’écologiste EELV Barbara Pompili, « opposante notoire de la chasse », au ministère de la Transition écologique, et des déclarations, début aôut, du secrétaire national d’EELV Julien Bayou, qui accusait le gouvernement Castex de ne pas oser s’opposer à la chasse à la glu.
« On avait prévu de manifester dès le lendemain, devant le fort de Brégançon (Bormes-les-Mimosas, Var), où Emmanuel Macron était en vacances. » Mais assurés du soutien commun du Premier ministre et du Président, « qui ont promis au président de la fédération nationale de défendre la ruralité et les chasses traditionnelles », les chasseurs avaient annulé leur coup d’éclat.
Moins de trois semaines après, Marc Meissel le dit sans détour : « On leur a fait confiance et ils nous ont menti. On a marché sur une planche pourrie ! »
Selon le président des chasseurs varois, la décision française de ne pas déroger, cette année, à la directive européenne, signe en réalité l’arrêt de mort de la chasse à la glu. « La Cour de justice européenne, saisie par le Conseil d’État français en novembre 2019, doit statuer prochainement sur la légalité des dérogations, contestée par la Commission européenne. L’interruption de la pratique laisse peu de place au doute : elle ne reviendra jamais. »
Au-delà de la chasse à la glu, c’est, selon Marc Meissel, « toutes les chasses qui vont, peu à peu, être attaquées, jusqu’à ce que la chasse elle-même soit contestée… »
Sur les 15 700 chasseurs licenciés dans le Var, seuls 2 000 pratiquent la glu (7 000 en tout en France) : « Peu transmise, cette pratique se serait arrêtée d’elle-même dans quelques années… Là, il est probable que la fédération départementale aura du mal à poursuivre ses activités si deux mille de ses licences disparaissent. »
Pratiquée dès l’Antiquité (on en retrouve trace au IVe siècle avant notre ère) et dans le monde entier (Europe méditerranéenne, Moyen Orient et Afrique du Sud notamment).
2009 : une directive européenne l’interdit implicitement. La France obtient le droit de déroger.
2018 : Malte est condamnée pour avoir laissé libre cours à cette pratique.
Avril 2019 : la LPO porte plainte auprès de la Commission européenne.
Novembre 2019 : le Conseil d’État saisit la Cour européenne pour clarifier la directive.
Juillet 2020 : la Commission européenne donne 3 mois à la France pour « mettre fin aux chasses illégales ».
7 août 2020 : le Premier ministre assure les chasseurs de son soutien.
26 août 2020 : le Président Macron n’autorise pas de dérogation pour la saison 2020-2021, dans l’attente de la réponse de la Cour européenne.
29 août 2020 : les fédérations de chasseurs des départements pratiquant la glu décident d’engager des actions en justice et annoncent des manifestations.
Par Allain Bougrain-Dubourg · le 19 mai 2020
Sangliers en goguette dans les rues, renards peinards faisant les poubelles avant les éboueurs, oiseaux qui chantent sans s'époumoner pour couvrir la pollution sonore des villes... Les bêtes adorent le confinement. Mais les végétaux ne sont pas en reste ! La haie adorerait qu'on lui foute la paix.
Bien sûr, je ne suis pas un animal, mais moi aussi j’incarne la vie. À ce titre, il me semble avoir le droit de plaider ma cause.
Mon existence, je la dois à la cohabitation que notre monde végétal a délicieusement tricoté au cours du temps. Vous vous réjouissez de la mosaïque qui agrège votre cœur, vos reins, vos poumons ou votre estomac, j’éprouve le même bonheur en pensant au sorbier, au sureau, au fusain, au chèvrefeuille, au mûrier et autre chêne têtard qui me composent. Je suis la haie, plantée par César, arrosée par le siècle des lumières, honorée par l’Académie Française.
Enclavée dans les champs, les prairies ou les vignes, je suis considérée par votre administration comme « un petit groupe d’arbustes et d’arbres de hauteur variable et d’une largeur inférieure à 30 mètres ». Convenez que cette définition manque singulièrement d’émotion et de reconnaissance. Comment ne pas évoquer les odeurs que je dégage après la rosée du matin ? Et mes couleurs dont vous peintres s’inspirent ? Et le gaz carbonique que je capte ? Et les châtaignes, noisettes, prunelles que je vous offre ? Et l’ombre de l’été ou le pare-vent durant l’hiver ? Et le ruissellement que j’endigue ?… J’affirme que ma générosité vous oblige. Je suis un bouquet de promesses. Les lézards paresseux, les papillons indécis, les chouettes secrètes, les couleuvres pressées, les rainettes colorées et tant d’autres trotte-menus s’associent à moi pour défendre notre condition.
Je vous implore de m’épargner durant la période de nidification
Suis je coupable de prétention en vantant ainsi mes mérites ? Certains le penseront mais il me paraît utile de vous rappeler mes bienfaits alors que je suis victime d’indifférence, pire de mépris.
Alors qu’en ce moment je joue le rôle d’écrin inestimable pour la faune sauvage, on me taillade, on me hache, on me broie, en résumé on m’ampute au nom de « l’élagage ». Triste mot qui annonce la mutilation.
Aucune attention n’est portée au petit peuple des airs venu se réfugier en mon sein pour donner la vie. Partout les merles noirs, les grives musiciennes, les rouges-gorges et tant d’autres petits ténors ont dressé dans mes branches, un gîte plein d’espérance. Avec vos tronçonneuses, vous arrachez ces vies qui palpitent tout juste. Les couvées ne s’envoleront pas, elles agoniseront dans le dédain et la douleur.
Moi, la haie, je vous implore de m’épargner durant la période de nidification. Faites une trêve jusqu’à juillet, rangez vos guillotines sans désosser notre ramure. Acceptez nos branches folles pour que la raison s’installe.
Il n’y a pas longtemps, l’Office Français de la Biodiversité a fait suspendre l’arrachage d’une haie en préservant 500 mètres de végétation dans lesquels la pie grièche grise s’épanouissait. Ailleurs, c’est la préfecture du Bas-Rhin qui a interdit tous travaux sur les haies du 15 mars au 31 juillet. L’exemple est donné. J’en appelle à tous les maires de France pour qu’ils s’en inspirent sans attendre en leur adressant, par avance, ma reconnaissance végétale.