Deux anciennes SDF confrontées aux "années barbares" ont conforté le combat quotidien de l'association "Sans toit, et si c'était toi" pour améliorer la condition des femmes.
Des mots pour apaiser les maux. Une parole qui se libère pour éveiller les consciences, et changer le regard sur ces milliers de femmes à la rue qui cachent leur souffrance morale et physique pour survivre au quotidien.
Anne Lorient, cette ancienne SDF, revendique, haut et fort, d'être "une porte-parole" des sans-abri.
Et, particulièrement, celle de ces femmes qui, jour après jour - et nuit après nuit -, subissent la violence au point de se rendre invisibles, en cachant leur féminité pour mieux se protéger.
Samedi soir, au cercle du Revest, un bar artistique culturel, cette mère de famille vivant à Paris a apporté son soutien à l'association "Sans toit, et si c'était toi", présidée par Myriam Picardel.
Porteuse de l'événement "États Dames sur Macadam", l'association qui mène sa mission "sans subvention auprès des sans-abri, notamment en offrant 120 repas tous les mardis soirs, Porte d'Italie à Toulon, à partir de produits invendus des supermarchés", a souhaité "sensibiliser sur la condition des SDF, et notamment des femmes de la rue en rassemblant les synergies citoyennes qui apportent des réponses concrètes".
Après dix-sept années de galère, après "Mes Années barbares", titre du premier livre, co-écrit avec la journaliste Minou Azoulai, Anne Lorient (1) n'a de cesse de témoigner et de sensibiliser enfants et adultes notamment bénévoles, sur les dures conditions des femmes dans la rue.
Mère de deux garçons, âgés de 17 ans et 13 ans, "ses cadeaux de la vie", comme elle le dit fièrement, même si la vie n'a été tendre avec elle, victime de l'inceste, et de viols, veut "transmettre, notamment aux plus jeunes qui seront les futurs aidants de demain auprès des SDF".
Samedi soir, son parcours douloureux n'a pas laissé insensible les citoyens, qu'ils soient anonymes ou bénévoles engagés au quotidien auprès des sans-abri.
Un entrepreneur dans le bâtiment n'imaginait même pas la violence endurée par celles-ci. "Mon premier fils est né dans la rue, dit Anne Lorient. Après m'être enfuie de l'hôpital, je l'ai caché durant deux ans et demi sous un grand manteau de peur que l'on me l'enlève, qu'on le confie à la DDASS (Direction départementale des affaires sanitaires et sociales, Ndlr). Je voulais être une mère. C'est à la grossesse de mon deuxième enfant que j'ai eu le déclic. Je n'en pouvais plus. J'ai eu la chance d'être tombée sur quelqu'un de bien. C'était il y a treize ans. Ce sont mes enfants qui m'ont aidé à me sortir de la rue, mais il m'a fallu suivre dix ans de psychothérapie".
Anne Lorient ne donne pas, comme elle le dit sans détour, "dans le pathos". "J'aurais pu tourner la page comme d'autres ont choisi de le faire. Mais j'ai une mission. Je ne lâcherai rien. Mon combat? C'est d'ouvrir le premier centre d'hébergement accueillant des femmes, et géré uniquement par des femmes".
Cet encadrement exclusivement féminin est "sécurisant pour des femmes traumatisées par les violences subies dans la rue."
Dans le sillage de cette ancienne SDF, Elina Dumont, la marraine de la "Maraude culottée", initiée par l'association "Sans toit, et si c'était toi", parrainée par Charles Berling.
Autre parcours de vie, autre galère, durant 15 ans, pour Elina Dumont, pupille de l'État, qui, elle aussi, a témoigné de son vécu dans son livre Longtemps j'ai habité dehors, édité chez Flammarion.
Cette comédienne et intervenante dans le talk show Les Grandes Gueules sur RMC a poussé, samedi soir, son "coup de gueule" sur le mal-logement.
"À 44 ans, j'ai eu mon studio de 19 m2! Le logement social n'existe plus!". Sur une scène improvisée, elle a joué une partie de son one woman show intitulé Des quais à la scène, qui, avec légèreté et gravité, a plongé le public dans la noirceur du quotidien des femmes sans-abri qui survivent dans l'enfer du bitume avec ses codes de la rue, ses prédateurs...
"Les belles âmes"
Un enfer qui ne peut effacer les belles âmes, "les talents", les "amis", reconnaît Anne Lorient, naviguant entre ce qu'elle nomme les "deux mondes".
Des portraits de sans-abri, sublimés et immortalisés, l'autre soir, par le photographe Ken, venu de Bordeaux. Samedi soir, tous, artistes, bénévoles, citoyens ont su se rassembler au-delà de leurs différences, pour que les femmes de la rue ne soient plus les "oubliées" de la précarité.
Du restaurant éphémère à la reconstruction des corps brisés par les violences subies, en passant par la maraude de produits d’hygiènes et de beauté: les initiatives citoyennes de l’association Sans toit, et si c’était toi ne manquent pas pour "tenter d’apporter des solutions à cette grande précarité", insiste Yvan Mouton, fondateur à Paris de la "fête des voisines" qui mobilise, aussi, sur Paris des professionnels du soin et du bien-être pour aider ces femmes "à retrouver leur dignité".
Samedi soir, la synergie citoyenne était le reflet d’un "réel investissement qui me touche", confiait Aurélie Magnoni, artiste peintre, responsable du bar artistique culturel "Le Cercle".
"Une partie du bénéfice de la soirée sera reversée à l’association", s’est-elle engagée. Un petit coup de pouce financier qui permettra, avec l’aide des dons , l’acquisition d’un "banc de massage" pour permettre aux femmes sans-abri de se sentir plus à l’aise.
Le mardi soir, les hommes et femmes ont droit à un repas chaud et au salon du bien-être.