Après le décès de Jean-Mathieu Michel, renversé par une camionnette qui venait de décharger illégalement des gravats, le problème de la gestion des déchets issus du bâtiment refait surface.
VAR - Derrière la mort du maire de Signes, une crise des déchets étouffe le Var. Lundi 5 août, Jean-Mathieu Michel, 76 ans, maire d’une petite commune de 3000 habitants, est décédé après avoir été renversé par une camionnette. Au volant, deux jeunes ouvriers du bâtiment, préalablement en train de décharger illégalement des gravats sur un chemin privé. Une action habituelle dans la région.
D’après le récit de France Bleu Provence, l’incivisme a échauffé l’élu. Mais alors qu’il venait de demander aux occupants du véhicule d’attendre la verbalisation de la police, une manœuvre de la camionnette l’a mortellement blessé. Jean-Matthieu Michel, décrit unanimement dans les hommages comme un maire “emblématique de la région” et “engagé pour sa commune et son territoire”, après trente-six ans de mandat, avait comme beaucoup les abus de la filière du BTP dans le viseur. Dans la région, le déchargement illégal de gravats est connu de tous. Et tout le monde est mobilisé.
“Fléau environnemental”
“Tout le monde a en ligne de mire ces décharges illégales, explique au HuffPost Henri Bonhomme, le président de l’Union Départementale du Var pour la sauvegarde de la Vie et de la Nature (UDVN). Sur leur site Internet, les actualités font régulièrement référence à ce que l’association écologiste n’hésite pas à qualifier de “fléau environnemental”. “L’urbanisation à outrance et la gestion des gravats qui va avec, c’est le mal du littoral”, déplore Henri Bonhomme.
C’est du quotidien. Il n’y aucune prise sur des situations comme ça, sauf si vous y assistez."Henri Bonhomme, président de l'UDVN, à propos du déchargement illégal de gravats.
Décharges sauvages, décharges illégales ou encore “déballes”, comme on les appelle aussi: ces initiatives pullulent dans la région. Et les solutions peinent à se mettre en place.
“D’un côté, vous avez des petites entreprises, des artisans et des particuliers qui ne s’embêtent pas et déchargent où ils peuvent avec leur camionnette, sur le bord de la route, nous décrit Henri Bonhomme. C’est certainement ce qui est arrivé à Signes. Et ça, c’est du quotidien. Il n’y a aucune prise sur des situations comme ça, sauf si vous y assistez.”
Après les particuliers, les professionnels. ”À côté de ce phénomène”, nous explique encore l’UDVN, “il y a des grosses affaires de décharges sauvages. Ce sont des entreprises de taille importante, voire très importante, qui, plutôt que d’aller dans les décharges agréées payantes et cadrées, trouvent des arrangements avec des particuliers en possession de terrains, non constructibles le plus souvent.” Les espaces sans propriétaire apparent sont aussi visés.
Mais certaines affaires, grâce à des riverains, des élus et des associations, parviennent à atteindre le Conseil d’État. Les conséquences écologiques sur les sols, la biodiversité et l’agriculture peuvent en effet être très graves. Que se passe-t-il si une décharge de déchets amiantés voit le jour sur le bord d’un champ d’horticulture -quand on sait que le département est un grand producteur de miel- ou dans des vignes? “Des terroirs comme ça, des tonnes de déchets qui les recouvrent et c’est terminé, on ne peut plus rien faire”, se désolait ainsi l’année dernière un vigneron de la région.
Sur-urbanisation et manque de stockage
Pour l’association de protection de l’environnement, deux causes principales amènent à ces modes d’action illégaux et dangereux:
- Une urbanisation très forte liée à l’attraction de la région méditerranéenne
- Un terrain accidenté qui demande plus de déblayage qu’ailleurs
L’activité de chantiers sur la Côte d’Azur au littoral très recherché s’étend du Var jusqu’à Monaco. En plus de drainer des armées de travailleurs saisonniers, elle traîne derrière elle, davantage qu’ailleurs, des gravats et de la terre, pollués ou non, issus de terrains escarpés qui ont demandé un fort volume de déblayage.
Face à cette réalité géologique et économique, “les lieux de stockage, ou ICPE, sont insuffisants et coûtent cher, financièrement et écologiquement”, nous apprend encore Henri Bonhomme. À l’instar des déchets ménagers, qui eux n’ont plus de structures d’accueil dans le Var depuis fin 2018, les matériaux inertes du BTP peinent eux aussi à trouver une prise en charge correcte. “Il faut trouver des terrains, faire une enquête, demander l’expropriation, obtenir les autorisations pour produire de la nuisance sonore... L’ouverture de tels sites est extrêmement lente et compliquée”, explique encore au HuffPost le président de l’Union départementale du Var pour la sauvegarde de la Vie et de la Nature.
Et pour s’y rendre et déposer vos gravats, si vous êtes professionnel, vous devez compter 82 euros par tonne déchargée pour les déchets non dangereux, et 104 euros par tonne pour ceux toxiques (tarifs Écopole). Très peu de déchetteries municipales vous permettent de le faire. Et les rares qui l’autorisent restreignent le cubage par jour.
Face à ces prix et cet encadrement, certaines entreprises préfèrent d’autres solutions complètement illégales. En 2016, un véritable réseau avait été démantelé: “deux couples proposaient aux entrepreneurs de payer ‘la course’ 70 euros seulement et dénichaient des lieux, à l’abri des regards, pour enfouir en toute discrétion les gravats”, raconte Le Parisien dans un article de juin 2016.
Contactée par Le HuffPost, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie de la Provence-Côte d’Azur (ADEME), n’a pas encore répondu à nos questions. Mais en attendant, comme un aveu du problème, notre interlocutrice au téléphone n’a pu retenir ce constat: “Le déchet, quel qu’il soit, c’est toujours polémique”...
Le trafic est courant dans la région, et les chantiers en essor constant ne cessent de le raviver. En 2016, une correspondante du Parisien à Draguignan n’hésitait pas à titrer ainsi un reportage: “Le Var, défiguré par le trafic”. “Dès qu’on s’éloigne du bord de mer, on trouve partout des zones couvertes de gravats abandonnés qui forment de petites collines. On le constate en survolant le département en hélicoptère”, témoigne cette même année un bénévole d’une association de préservation de l’environnement.
En mars 2018, les viticulteurs de Bandol étaient sortis de leur réserve pour manifester contre la présence d’une décharge illégale au milieu de leurs vignes. Au milieu des ceps, des collines de gravats et de déchets issus du bâtiment et des travaux publics. Les découvertes de la sorte sont fréquentes dans les vignobles de la région, à tel point que certains craignent pour leur appellation.
Un peu plus tôt en janvier, c’est tout simplement une digue qui avait été découverte par le maire de Saint-Laurent-du-Var: 140 mètres de long, dix de large et cinq de haut de gravats et de terre de chantiers entassés. Sur le moment, le maire a cru à un mouvement de terrain, avant de découvrir la file de camions qui déversaient leur chargement. L’histoire, complexe pour la municipalité, réunissait une entreprise privée, un terrain municipal, un particulier d’une casse-auto qui avait donné son autorisation et un entrepreneur. À l’époque, le maire de Saint-Laurent-du-Var s’était dit “extrêmement” choqué qu’on prenne sa ville pour une décharge.
Le même sentiment devait probablement animer Jean-Mathieu Michel, l’emblématique maire de Signes, lorsqu’il a arrêté sa voiture pour faire la leçon à cette camionnette d’ouvriers. Dans une lettre de condoléances publiée ce mardi, Emmanuel Macron a tenu à saluer “le dévouement inlassable de cet élu [...] dont le dernier geste traduisait le souci de son territoire et son implication à y faire respecter la loi pour le bien de tous”.