Votre ville ou village brille dans le classement des « Villes ou villages où il fait bon vivre » en France ? Ou pas du tout ? Dans les deux cas, rien d'important. Surtout s'il ne vous vient pas l'idée de payer le « label ».
Habiter dans un endroit où « il fait bon vivre » n'est-il pas la douce espérance de chacun ? Et donc une info « concernante » dans le langage des communicants. Ainsi, des « études » et « classements » des communes « où il fait bon vivre », se diffusent régulièrement dans la presse. Et certains en ont fait profession.
On peut s'intéresser au tout dernier publié, le 11 avril dans le Journal du Dimanche. Celui-ci est un « palmarès établi par l'association Villes et villages où il fait bon vivre » indique le média. Quelle est cette association loi 1901, c'est-à-dire une structure dont l'objet doit être à un but non lucratif ?
Son site internet n'est pas très disert sur sa vie associative et son nombre d'adhérents, mais indique que l'association est « présidée par Thierry Saussez, créateur du Printemps de l’optimisme ». Les mentions légales précisent que le siège social de l'association est situé au 7, rue Laurin à Rueil-Malmaison et que le directeur de la publication du site est Alexandre Saussez. Soit le fils de Thierry Saussez (lien vers son autobiographie). Thierry Saussez est un spécialiste de la communication politique, surnommé par le milieu professionnel « le Jacques Séguéla de droite », et l'ancien responsable du système d'information du gouvernement (SIG) sous la présidence de Nicolas Sarkozy.
Ces présentations faites, comment est établi le « classement des Villes et villages où il fait bon vivre » ?
Un bon point sur la transparence d'abord, tous les éléments pour analyser la situation sont contenus dans les documents mis à disposition sur le google drive de l'association.
L'association explique qu'il est « construit sur les priorités des Français, de nouveau consultés par un sondage exclusif OpinionWay ». Ce « Sondage OpinionWay pour Le Printemps de l’Optimisme » (mention légale) est un sondage auto-administré en ligne, c'est-à-dire rempli de façon autonome par les personnes interrogées, sans assistance d'un enquêteur. Il mentionne l'interrogation « d’un échantillon de 1.010 personnes représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus » >Les répondants étaient payés (incentives légalement parlant) ou « pouvaient faire don à une association ».
La société OpinionWay crédite son sondage de « marges d'incertitude de 1,5 à 3 points au plus ».
Ce sondage classe les 8 critères qui étaient proposés (plusieurs réponses possibles en même temps, mais dans cette liste limitée) dans cet ordre d'importante : la qualité de vie ; la sécurité ; le commerce ; les transports ; la santé ; l'éducation ; la solidarité ; les sports et loisirs.
S'il est indiqué que ces huit critères majeurs et leur classement « pondèrent » les notes ensuite basées sur 183 types de données venues de l'Insee et d'organismes publics, la formule de calcul précise de cette « pondération » n'est pas explicitée.
En revanche, la prime aux plus faibles kilométrages est très explicite. Pour tous les critères d'accès à des infrastructures, services ou loisirs, la note de chaque commune dépend directement d'une tranche de distance : 100 points, soit le maximum, si l'équipement est dans la ville ; 0 s'il se situe à plus de 15 km, 30 km ou 60 km (équipements plus rares, comme les aéroports).
Joli biais de raisonnement donc de résultats ? On peut le penser en observant que le « classement » distingue 45 villages de Moselle et aucun en Creuse. Ou encore que toutes les zones montagneuses de France semblent – à l'exception des belles d'en bas comme Annecy – ne pas être des lieux « où il fait bon vivre ».
On notera d'ailleurs que les associations d'élus ruraux, lorsqu'elles se penchent sur les questions de leurs équipements, raisonnent non en kilomètres, mais en temps de parcours pour les habitants.
Ces incohérences pourraient simplement faire sourire et sont, c'est vrai, l'apanage de toute tentative de classement de milliers de communes sur N facteurs. Mais d'autres éléments dans la démarche sont curieux.
L'association – jusqu'ici on parle encore d'elle – promet aux mieux notés d'intégrer « un cercle fermé de territoires distingués sur les 34.837 communes de France métropolitaine, qui, grâce à leur excellence dans les thématiques importantes aux Français, sont éligibles pour exploiter le label des villes et villages où il fait bon vivre. » Rien que ça ! Et comment « exploiter » un tel honneur ? Très simplement en payant une cotisation, via le mandat et le RIB fourni. À l'association « Villes et villages où il fait bon vivre » ? Non. À la société Taléus, « spécialiste » des systèmes d'informations, des bureaux informatiques virtuels et propriété d'Alexandre Saussez. Ceci dit, le chèque du petit village ne sera pas perdu, l'adresse de ladite société privée étant le 7, rue Laurin à Rueil-Malmaison.
Pour en savoir plus sur le Printemps de l'optimisme et ses actions, il est aussi possible de parcourir son site internet, dont la communication a été confiée à une autre société « experte ». L'agence AS-Tek, domiciliée au 7, rue Laurin à Rueil-Malmaison, et qui appartient à... Alexandre Saussez.
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Julien Bigay