Dans les dialectes galloromans, le pronom indéfini signifiant « personne », au sens de « aucun être humain », que l’on trouve en position de sujet dans des phrases comme « personne ne me croit », « personne n’est venu », ou d’objet dans des phrases comme « y a personne », « on (ne) craint personne », était exprimé dans la majorité des régions de la moitié sud du territoire par des aboutissants de la locution latine NEC UNUS (qui signifie, mot à mot, « pas un »). Les lois de l’évolution phonétique ont fait que ladite locution a abouti à des formes différentes dans la bouche des générations de locuteurs qui se sont succédé sur le territoire de l’actuelle francophonie d’Europe au fil des siècles.
À la fin du XIXe s., juste avant que le déclin de l’usage des langues régionales ne s’accélère dramatiquement, les aboutissants de NEC UNUS pouvaient être classés en deux catégories principales: les types qui se rattachent à nion /ɲɔ̃/ et les types qui se rattachent à dégun /deɡœ̃/. Les types ningun, nugun, ligun, diu, qui constituent également des aboutissants de NEC UNUS, sont plus dispersés et peu nombreux [...]
Dans quelques régions (le Gard, les Pyrénées Atlantiques et les alentours), ce sont des formes continuant le latin RES (> fr. rien) qu’Edmont a enregistrées lors de son tour de la Gallo-Romania.
Sur le continent, on peut voir que c’est essentiellement à l’intérieur de l’actuelle région Provence-Alpes-Côte d’Azur que le mot dégun est utilisé.
D’un point de vue historique, il semblerait que l’utilisation de la forme dégun en français soit un phénomène assez récent, comme le soulignent les auteurs du Dictionnaire des Régionalismes de France:
et de tous ses dialectes du IXe au XVe siècle), le mot est plus tard absent des recueils méridionaux de cacologies et il manque encore dans Le français de Marseille. Etude de français régional (1931). On en inférera que le transfert du provençal au français, surtout cristallisé dans le tour (il) y a dégun, ne remonte qu’à une date récente. Limité d’ailleurs au code oral […], il s’agit d’un patoisisme consciemment employé pour « forcer le ton régional » […] et promu, plus récemment encore, stéréotype identitaire d’une certaine Marseille populaire.
Dégun figure en tout cas dans l’ensemble des recueils de régionalismes du sud-est que nous avions sous la main quand nous avons rédigé ce billet (tous publiés après les années 1980).
Pour toute personne étrangère à la ville de Marseille (et à la Provence), le mot dégun, compte tenu de sa position dans la phrase, peut être compris comme un nom propre, et donc comme référant à un être humain. Les locaux l’ayant bien compris, jouaient sur cette erreur d’interprétation pour jouer des tours aux touristes en visite dans la cité phocéenne.
D’après le site géoado, c’est en 2005 que José Anigo, alors directeur sportif de l’Olympique de Marseille, propose de faire inscrire sur un grand panneau « À Marseille, on craint dégun! ». Il demande ensuite à ce que ce panneau soit placé au bout du tunnel emprunté par les joueurs pour accéder au stade Vélodrome.
La même année, le mot dégun est utilisé dans le cadre d’une collaboration entre le club de foot et Adidas, qui reprend l’expression pour sa campagne publicitaire. « On craint dégun » devient ainsi « officiellement » le slogan de l’OM.
Il n’en fallait pas plus pour que l’équipe de lexicographes du Robert décide de faire enfin entrer la forme dans son édition 2017 Il était entré dans le Larousse en 2015.
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