Des repousses fragilisées à cause de la sécheresse, un avenir menacé par la fréquence des feux. Dans les Maures, un premier bilan environnemental se dessine. Sur le plan humain, l’incendie d’août 2021 reste un traumatisme encore à vif.
Publié le 15 août 2022 à 09h20 Par Sonia Bonnin
Comment faire le bilan d’un incendie monstre, qualifié de "méga feu", classé parmi les cinq feux les plus graves que le Var a connus depuis une trentaine d’années ?
Ce jeune pin maritime de quelques centimètres réussit encore à puiser dans les réserves de sa graine
Il y a un an, le 16 août 2021, un incendie naissait sur l’aire de l’autoroute A57 Les Sigues, sur la commune de Gonfaron, par une journée sèche, chaude et venteuse. Le feu prenait tout de suite une ampleur folle, en direction de l’est et du sud.
Malgré l’intervention massive des pompiers au sol et de la flotte aérienne de sécurité civile, le combat acharné n’avait pu empêcher que le feu "saute les Maures".
Dévastant 7.000 hectares de végétation et de vie sauvage, les flammes avaient trouvé le tristement célèbre couloir de feu, jusqu’en lisière des communes balnéaires de Grimaud ou Cogolin.
Deux personnes avaient trouvé la mort, un habitant de Grimaud et une vacancière, leurs corps découverts dans une bergerie réaménagée que les flammes n’ont pas épargnée. Depuis la fin du terrible été 2003, il n’y avait plus eu de mort dans un feu de forêt dans le Var. Et de nouveau, le massif des Maures fut le lieu du drame.
Le bilan du feu de Gonfaron 2021 est catastrophique, sur le plan humain, écologique, paysager, économique. Des maisons ont brûlé, des centres équestres n’ont sauvé leurs chevaux qu’en les déplaçant dans une urgence folle. Des campings vidés à la hâte ont été carbonisés, des hameaux encerclés par le feu, d’autres en partie ravagés. C’est peu dire que le traumatisme est encore vif.
Sur le terrain, les mesures d’urgence déjà engagées fin 2021 vont se poursuivre. Elles consistent dans la création de "fascines", pour retenir les sols sur les versants incendiés.
Réaliser des fascines, cela veut dire couper des troncs de bois mort, pour les placer en travers de la pente. Il s’agit de protéger les sols de l’érosion, mais aussi d’éviter l’instabilité du terrain en cas de fortes pluies.
Reste aussi l’importance des messages de sensibilisation auprès du grand public, vu que 90 % des feux sont d’origine humaine. Que ce soit une cause accidentelle ou volontaire. Le feu de Gonfaron ne fait pas exception. L’hypothèse est celle d’un mégot de cigarette, jeté depuis l’aire d’autoroute - l’enquête est toujours en cours. Imprudence ou malveillance, même résultat.
C’est une image rassurante. Mais trompeuse. Au premier coup d’œil, en plein mois d’août 2022, la forêt des Maures montre une vigueur étonnante. Des touffes d’un vert acidulé jaillissent au pied de souches calcinées. Au bout de branches noires, des feuilles se dressent courageusement sous un soleil de plomb.
Un an après le passage des flammes, la nature semble tenir bon. Sur les replats, les herbes sont hautes et jaunes - normal, c’est l’été. Sur les versants, les taches sombres alternent avec une impression de verdure. Le paysage est blessé, pas anéanti.
Sur les pas de Bruno Teissier-du-Cros, apparaît la mesure du paradoxe. "Ici, les graminées ont profité de l’ouverture du milieu", comprenez de la place libre, et "ont poussé rapidement, au printemps". Mais dans la pente, "il ne reste plus rien, le sol est lessivé", constate ce spécialiste de la défense des forêts contre l’incendie, à l’Office national des forêts (ONF).
Quelques plantes éparses s’accrochent aux replis de terre enfouis entre les roches qui scintillent et surchauffent au soleil. "Avec des incendies récurrents, la forêt s’appauvrit, les sols s’érodent."
Les pluies pourtant bénéfiques ont emporté une part du substrat nécessaire à la pousse de surface. Et avec, une part des graines accumulées ont dévalé la pente.
En profondeur, d’autres enjeux sont en mouvement. Plus lents, plus secrets. "Voyez ce chêne-liège, désigne Bruno Teissier-du-Cros. Il a très peu de chances de s’en sortir, il est en dessous de la taille critique. Pourtant, il essaie. Mais ses feuilles sont rabougries."
Même si le liège l’a protégé - son écorce a entièrement brûlé - l’arbre devrait mourir dans les prochaines années.
Plusieurs espèces ont pourtant la capacité de puiser en profondeur, "dans leurs réserves", pour lancer de jeunes tiges: chênes, arbousiers, bruyères, cistes… Mais "le vert est un faux ami", prévient le spécialiste, car il y a des conditions sine qua non à une régénération réelle.
La première condition est le temps écoulé entre deux incendies. "Dans certains vallons, il n’y a déjà plus de pins. On peut avoir l’impression générale que la forêt reprend ses droits, mais elle a besoin de 40 à 50 ans pour se maintenir." Ce qui est "un temps court à l’échelle d’une forêt".
Ici, sur les hauteurs de La Garde-Freinet, cela tombe sous le sens. Ce "couloir de feu" avait déjà brûlé en 2003. "En l’espace de 60 ans, quatre feux sont passés dans cette zone. C’est trop, beaucoup trop." À ce rythme, un dépérissement s’engage.
Et là apparaît une deuxième condition essentielle : le climat. "Le souci, cette année, réside dans la sécheresse de l’hiver." Amplifiée par les températures caniculaires de l’été, la (trop) longue période sèche est "un deuxième coup de massue pour la végétation".
Plus qu’à la météo quotidienne, Bruno Teissier-du-Cros est sensible à "la vitesse du changement climatique". Sa conclusion est qu’il faut "fondamentalement protéger la forêt du feu, pour lui permettre de réussir à encaisser le changement climatique". Elle ne pourra pas faire les deux en même temps.
Incendies et réchauffement, les deux phénomènes combinés enclenchent un mécanisme délétère. "Quand elle se développe, la forêt passe son temps à stocker du carbone." Cette aptitude est affaiblie soit parce que la forêt brûle, soit parce qu’elle pousse moins.