Classés au patrimoine culturel et immatériel de l’humanité par l’Unesco, les murs en pierres sèches, dont la technique de construction a été modélisée, au cœur d’un stage au domaine de la Rouvière.
Contre toute attente, un chantier furieusement moderne. Signe de la résurrection d’une pratique multiséculaire, les restanques, ces fameux murs en pierres sèches qui balisent en terrasses les paysages vallonnés, depuis si longtemps qu’ils donnent leur identité aux terroirs sont au cœur d’un chantier exceptionnel. Celui-ci est mené durant quatre jours dans les vignes adossées au domaine de La Rouvière, sur les pentes du Castellet village.
Sous la direction d’Albert Porri et d’Olivier Lenormand, tous deux muraillers caladeurs, artisans d’art et passionnés par la transmission de leur savoir-faire - qui ont bien failli voir leur profession disparaître il y a une vingtaine d’années - huit stagiaires, dont Philippe Bunan, qui les accueille sur les terres familiales, construisent un mur en pierres sèches de 15 mètres de longueur. « Nous manquons de personnel qualifié pour restaurer nos restanques qui se dégradent, observe l’hôte de la formation. Tous les ans nous en restaurons, mais si rien n’est fait, elles s’écrouleront. C’est là tout le sens de cette formation qui se termine jeudi. »
Un chantier école, fruit d’une collaboration entre la Fédération française des professionnels de la pierre sèche (FFPPS) et la Chambre d’agriculture du Var qui accueille donc jusqu’à aujourd’hui une majorité de professionnels, dont plusieurs vignerons de différentes appellations varoises.
Une formation qui pourrait paraître anecdotique rapportée à l’échelle de l’immensité des terroirs… Mais pourtant :
« Grâce au travail de l’architecte urbaniste Claire Cornu (1) notamment, l’art de la construction en pierres sèches vient d’être classé et reconnu en 2018 au patrimoine culturel et immatériel de l’Unesco, s’enthousiasme Albert Porri. Et les règles de l’art ont aussi été définies. »
Pour se réapproprier l’antique savoir-faire transmis jusqu’alors sur le terrain, de génération en génération, et le modéliser, les ingénieurs de l’École nationale des travaux publics de l’État (ENTPE), sollicités, ont construit un vrai mur en pierres sèches qu’ils ont ensuite détruit.
« Huit thèses de doctorat ont été consacrées au sujet », complète le formateur, qui exhibe une synthèse. Un Guide de bonnes pratiques de construction de murs de soutènement détaillant les techniques à mettre en œuvre et les tables de conversion.
Car, grâce à la technologie mise en œuvre par l’ENTPE, on sait maintenant qu’« en fonction de la longueur et de la hauteur du mur, de son fruit (son inclinaison), de la nature de la pierre (calcaire, schiste ou granit), de la nature et de l’orientation du talus, une règle permet d’en définir mathématiquement l’épaisseur optimale. Il faut prendre en compte cinq paramètres », indique le formateur.
Ainsi, le mur construit sur le domaine de la Rouvière mesure 15 m de long pour 1,20 m de hauteur et 60 cm d’épaisseur.
Une innovation technique majeure qui garantit la longévité des ouvrages construits, plus solides que les réalisations des anciens « dont on s’est nourri des connaissances pour progresser », glisse Albert Porri.
Quant au procédé pratique de construction, il ne varie pas. Marteau et burin en main, les stagiaires taillent grossièrement les pierres - vingt tonnes au total - issues de l’épierrement local et qu’ils ont identifiées. Les boutisses, longues pierres traversières, et les paneresses, pierres plus courtes, sont disposées selon la « technique du croisement de joints, en évitant les coups de sabre, ces empilements qui déstabiliseraient l’ouvrage », vulgarise le formateur. C’est là toute la magie de la restanque qui opère…
Ces murs qui sur des centaines de kilomètres redessinent et modèlent nos paysages, sont réalisés et tiennent debout sans aucun liant. Le scellement des pierres est naturel ! Un patrimoine inestimable qui n’est pas près de s’éteindre.
Jean-Marc Vincenti Var-Matin 6 février 2020