Pourquoi votre taxe foncière explose-t-elle cette année ? Entre suppression de la taxe d'habitation et révision progressive des bases cadastrales, Henry Buzy-Cazaux, le président de l'Institut du Management des Services immobiliers, décrypte la hausse surprise de l'impôt foncier.
Près de 140.000 propriétaires ont reçu ces derniers jours un avis de taxe foncière correspondant aux biens qu’ils détiennent fortement majorés par rapport à l’année précédente. Les augmentations atteignent 20, 25 et 35%, sans que les contribuables concernés aient en rien été avertis, sans non plus d’explication. Il a fallu que la presse, saisie, s’empare du dossier pour que le gouvernement s’exprime, par la voix du ministre des Comptes publics, et pour que le débat s’ouvre. Les élus départementaux, incriminés, ont rejeté la responsabilité sur l’État, qui s’est empressé de se défausser sur les collectivités locales, présentées comme seules décisionnaires en matière de fiscalité locale.
Tout cela ne donne pas de la vie publique un spectacle très honorable. Les Français se contenteraient d’explications techniques, qu’on ne leur donne même pas. On ne leur dit pas non plus ce qui les attend au-delà de cette séquence. Peut-être l’exécutif et les collectivités locales ne prennent-ils pas la mesure que les plus récentes décisions quant à la fiscalité locale immobilière sont de nature à dégrader la relation des Français au logement, qu’on ne cesse de présenter comme plus heureuse que jamais. Derrière le record du nombre de transactions se cache une hausse des prix insupportable dans les grandes villes. Derrière les taux de crédit plus bas que jamais se cache une sélectivité des emprunteurs dont personne ne parle, les autorités bancaires allant jusqu’à redouter à l’inverse une attitude excessivement accommodante des établissements. Derrière la volonté de choc d’offre se cache un recul historique de la construction. Un jeu d’ombres et de lumières par conséquent sur tous les sujets lourds, et une hypocrisie de plus avec les taxes immobilières locales.
Que se passe-t-il donc? Pourquoi les taxes foncières sont-elles appelées à augmenter, sinon exploser ? Pour deux grandes raisons. D’abord, la suppression de la taxe d’habitation, que d’aucuns ont vu comme la meilleure nouvelle du monde, au point sans doute pour beaucoup de voter Macron tellement ils trouvaient la mesure heureuse, ouvre une question béante : comment les communes, qu’on prive ainsi de plus du tiers de leurs ressources, vont-elles pouvoir continuer à boucler leurs budgets et apporter aux habitants les services nécessaires ? Compenser la perte auprès des communes est vite apparu impératif. Alors l’État a pensé déshabiller Pierre pour habiller Paul, c’est-à-dire exiger des départements, destinataires de la taxe foncière, d’en transférer une partie au moins aux communes. Les présidents des conseils départementaux ont immédiatement émis l’idée d’augmenter les droits de mutation à titre onéreux, nommés "frais de notaire", dus par les acquéreurs de biens immobiliers. L’accueil fut frais de la part de la communauté immobilière... Alors les départements, pour un certain nombre d’entre eux, ont cru non de rehausser leurs taux relatifs au calcul de la taxe foncière. Voilà la première cause d’inflation de cet impôt local.
La seconde cause tient à l’actualisation des valeurs cadastrales attachées à chaque logement, correspondant à son niveau de confort et à sa superficie. Les bases actuelles, conçues comme un loyer fictif pouvant être associé au bien, datent de 1970. En réalité, l’administration fiscale dispose d’un travail d’actualisation fait en 1990, ces nouvelles valeurs n’ayant jamais été intégrées dans les rôles, c’est-à-dire jamais appliquées pour le calcul des taxes facturées aux contribuables. Le gouvernement avait en effet estimé en 1990 qu’il était inopportun de passer à l’acte et d’augmenter les taxes d’habitation et foncière, fondées sur les mêmes bases... alors que s’approchaient des élections. Temps béni où la politique confinait avec la prise en compte de la situation des ménages : aujourd’hui, l’État glouton s’interroge moins, assoiffé de moyens budgétaires et ayant besoin de réduire le déficit, acculé surtout à compenser la suppression de l’une de ces deux taxes séculaires auprès des collectivités locales, sauf à tuer la décentralisation. Au passage, on notera que c’est bien l’État qui décide de rénover les bases et qui calcule au profit des collectivités les taxes qui leur seront reversées : le Ministre Darmanin tort la vérité quand il renvoie à la décision des départements, voire des communes... Oui, parce que pour les 20% de Français qui ne sont pas encore exonérés de taxe d’habitation, et qui ne le seront qu’en 2023, il se pourrait que les taxes d’habitation soient entretemps calculées avec des bases revues et corrigées, et que les factures explosent, avant de disparaître, si l’État ne change pas d’avis et exonère aussi les plus aisés.
Et comme photographier tout le parc en envoyant un agent visiter chaque logement coûterait trop cher, l’administration travaille de façon impressionniste : au gré des reventes ou des déclarations volontaires - obtenues par sondage - de la part des contribuables propriétaires, éventuellement des demandes d’autorisation de travaux lourds. C’est ainsi que 137.000 taxes actualisées ont été adressées à d’heureux contribuables cette année, sachant que des écrêtements ont eu lieu pour atténuer la douleur, selon des règles inconnues. On entend que le gouvernement voudrait faire voter par le parlement le principe d’actualiser toutes les bases sur une durée déterminée. Opération vérité... et opération tonnerre, pour parodier Ian Fleming et évoquer James Bond. Précisément, sans l’un des miracles dont l’agent secret de Sa Gracieuse Majesté est familier, les propriétaires français vont payer beaucoup plus cher pour le bonheur de détenir un bien, et ils auront l’amère sensation que la suppression de la taxe d’habitation a entraîné en quelques exercices fiscaux un quasi doublement de la taxe foncière. Victoire à la Pyrrhus par conséquent, ou plutôt stigmatisation de la propriété pour privilégier le statut d’occupant usufruitier, estimé plus moderne par le Président Macron et ceux qui l’entourent.
Au candidat Macron, qui avait promis la première suppression de taxe significative qu’on ait connue depuis des décennies, il eût été délicat d’expliquer tout cela pendant sa campagne. Peut-être même ne l’avait-il pas anticipé malgré sa grande intelligence et ses compétences économiques : on peut plaider la bonne foi. Le résultat est là, inquiétant pour les propriétaires, qui pourraient bien trouver la propriété moins excitante à l’avenir.
Les départements réclament une hausse de 0,2 point des droits de mutation, pour compenser la perte de recettes engendrées par la suppression de la taxe d'habitation. Notre chroniqueur Henry Buzy-Cazaux, président de l'Institut du Management des Services immobiliers, dénonce une mesure qui viendrait réduire la cadeau fiscal initialement promis aux contribuables et qui précipiterait un peu plus la France dans l'archaïsme fiscal.
C’était déjà le feuilleton de l’été dernier, et la première saison avait même débuté aux vacances 2017. Je veux parler du financement de la suppression de la taxe d’habitation. Tout a commencé par une promesse de campagne du candidat Macron, qui a sans aucun doute compté dans les faveurs que le public lui a accordées. Son équipe avait alors estimé le coût de la mesure à 8 milliards d’euros de manque à gagner pour les collectivités locales concernées, les communes au premier chef. On sait aujourd’hui que le coût global, intégrant les 20% des ménages percevant les revenus les plus élevés, pour qui l’exonération est différée à 2023, va dépasser les 23 milliards d’euros. Entre-temps, la taxe versée par les 20% de ménages à plus forts revenus sera nationalisée et directement versée à l’État.
Depuis plus de deux ans maintenant, l’exécutif débat avec les maires de France sur la méthode de compensation. Il a bien été tenté d’expliquer aux élus locaux que des économies de fonctionnement, notamment de train de vie, leur permettrait aisément de trouver les ressources nécessaires, mais l’argument n’a pas fait flores. Peut-être simplement parce qu’on parle ici de 34% des ressources des communes et qu’on voit mal comment les seules charges de fonctionnement pourraient être tellement grasses qu’on puisse les réduire dans ces proportions. Il est normal en revanche qu’un gouvernement qui a voulu réduire les indemnités des maires de petites et moyennes villes considèrent qu’ils vivent sur un grand pied... Le problème est qu’il n’en est rien. L’essentiel des dépenses de ce qu’il est convenu d’appeler le "bloc communal", c’est-à-dire la consolidation des budgets de toutes les communes, part en investissements au profit des habitants. C’est si vrai que le premier réflexe des maires qui se sont vu priver de leur principale ressource fiscale a consisté à lever le stylo sur la signature des permis de construire : voilà qui explique la baisse de l’ordre de 10% des octrois d’autorisation de construirez en rythme annuel, qui hypothèque lourdement les trois années à venir. En clair, rien à voir avec le syndrome connu du maire qui se représente et qui se met à l’abri des critiques de ses administrés un an avant l’élection, histoire de calmer les passions de ceux qui veulent garder leur ville intacte. Disons plutôt que cette fois, les deux effets se sont tristement additionnés.
On sait désormais quel scénario de compensation a été privilégié par Édouard Philippe et sa ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités locales, après que toutes les hypothèses ont été émises, en particulier par les experts mandatés par le gouvernement. Les départements transfèreront le bénéfice de la taxe foncière, dont ils sont aujourd’hui destinataires, aux communes. En échange, ils se verront affecter de la TVA à même hauteur, en tout cas en première année. Ce mécanisme se mettra en place dès 2021.
C’est dans ce mécanisme que le bât blesse... L’association des gestionnaires des collectivités locales a dressé le constat que la taxe foncière évoluait bien plus favorablement que la TVA sur moyenne période. D’où la proposition alternative que les conseils départementaux soient habilités par la loi à augmenter les droits de mutation à titre onéreux, improprement dénommés "frais de notaire" - parce que les notaires en sont les percepteurs au moment d’acter une acquisition immobilière. Le calcul de la représentation des cadres territoriaux en charge des finances auprès des élus départementaux les conduit à demander 0,2 point de plus, partant de près de 8,5% à ce jour.
On rappellera que les droits de mutation dans notre pays sont les plus élevés de l’OCDE. Les professionnels immobiliers ont longtemps ferraillé pour les faire baisser, et semblent avoir jeté l’éponge, sans doute aussi parce qu’il est plus difficile d’arguer qu’ils sont un frein à la fluidité du marché lorsque le nombre des ventes bat tous les records. Le problème, c’est que la solvabilisation par les taux bas, qui agit comme un puissant booster, finit par cacher deux maux, la cherté des logements dans les grandes métropoles et une fiscalité de l’acquisition et de la détention confiscatoire.
En clair, ce n’est pas parce qu’un calmant atténue la douleur que la maladie n’existe pas. Or le logement est malade de ces deux maux. Guérir le premier est difficile, se garder de l’aggravation du second relève de la responsabilité politique et économique la plus élémentaire. On a compris qu’il arrivait au Président Macron et à ceux qui l’entourent d’oublier les vraies gens, celles pour qui 5 euros d’APL (aide personnalisée au logement) sont beaucoup, les mêmes qui ont le sentiment qu’on réduit la vitesse autorisée sur les routes pour punir plus aisément et appliquer des amendes hors de portée de la plupart des ménages. On espérait que les élus de terrain, les mêmes qui peuvent désormais relever à 90km/h la vitesse maximum abaissée sans discernement, ne mépriseraient pas les acheteurs de logement. Pourtant, l’Assemblée des départements vient de publier une simulation correspondant à l’achat d’un bien de 150.000 euros, pour lequel une hausse de 0,2 point ne représenterait que 300 euros, estimés digestes par les élus départementaux.
Non, 300 euros ne sont pas négligeables pour les familles. Est-on prêt à incliner les patrons à augmenter de 300 euros leurs salariés au motif que ce n’est pas grand chose ? Sans compter que dans les grandes villes l’opération moyenne va plutôt s’élever à 300.000 euros, avec pour conséquence le double de 300 euros en guise de majoration de la facture actuelle. Des sommes que les accédants paieront, mais qu’ils n’utiliseront pas pour faire tourner la machine économique en achetant des meubles ou de l’électro-ménager ou en consommant des services. Bref, la pénalisation est bien réelle.
Quant à dire que cette facture augmentative est inférieure à une année de taxe d’habitation et qu’elle n’est payée qu’une fois, cela ressortit à une grande mauvaise foi politique : de quoi se plaindraient des contribuables à qui on annonce qu’un cadeau fiscal promis sera finalement moindre ? Ce geste réclamé par les conseils départementaux, si l’État y consentait, serait une mauvaise manière de plus envers l’immobilier. Il engoncerait surtout un peu plus le pays dans l’archaïsme fiscal pour les actifs immobiliers, qu’on sait marqué du sceau indigne de la "rente", aux yeux du Président de la République.
Devenir propriétaire engendre de nombreux frais. Même si la taxe d'habitation va disparaître progressivement, la taxe foncière, elle, risque d'augmenter régulièrement.
La douche froide commence dès l’achat du bien, avec l’obligation, dans le neuf, de payer 20% de TVA. Viennent ensuite des taxes diverses, les frais de notaire – plutôt salés dans l’ancien –, puis, chaque année, les impôts locaux : si la taxe d’habitation est en voie de suppression (plus aucun contribuable n’y sera assujetti en 2022), la taxe foncière due par les propriétaires risque, elle, de devenir de plus en plus élevée.
Frais d’acquisition
Pour un bien ancien, ils correspondent à une dépense égale à 8% du prix d’achat. La liste est longue des dépenses annexes liées à l’accession à la propriété. S’il s’agit d’un logement neuf ou acheté sur plan, il y a d’abord la TVA à 20%. Puis vous réglez dans la foulée la taxe de publicité foncière (0,715%), la contribution de sécurité immobilière (0,10%), les frais de formalités (autour de 1 .200 euros), sans oublier, évidemment, la rémunération du notaire, ce qui fait grimper la note entre 2 et 3% du prix d’achat.
S’il s’agit d’un bien ancien ou récent, il n’y a pas de TVA à acquitter, mais des droits d’enregistrement (de 5,1 à 5,8% selon les départements) perçus par l’administration fiscale. S’y ajoutent, comme pour le neuf, la taxe de publicité foncière, la contribution de sécurité immobilière et la rémunération du notaire. Au total, les frais d’achat du bien se situent autour de 8% du prix payé au vendeur.
L’État va devoir trouver 24 milliards par an pour compenser sa suppression. D’ici la fin du quinquennat, la taxe d’habitation ne sera plus ! Les 80% de ménages les moins aisés (moins de 43 .000 euros de revenus annuels pour un couple, par exemple) ont déjà bénéficié d’une baisse de taxe de 30% en 2018, dégrèvement qui montera à 65% en 2019 et à 100% en 2020. Enfin, en 2022, c’est l’ensemble des contribuables qui sera exonéré. Notons toutefois que la mesure ne vise que les résidences principales et qu’en 2018 près de 6 .000 communes (soit 1 sur 6) ont augmenté leur taux, réduisant l’avantage promis aux uns et alourdissant la note des autres. Exemples : + 0,9% à Mulhouse, + 1,2% à Albi, + 2% à Vitry-sur-Seine, + 8,5% à Saint-Maur-des-Fossés…
Restera un gros souci à régler : cette suppression va au final coûter près de 24 milliards d’euros par an à l’État, un manque à gagner qu’il faudra bien aller récupérer dans la poche des contribuables. Parmi les pistes envisagées, il y a la majoration des droits de mutation en cas de vente de logements, et, bien sûr, la hausse de la taxe foncière due par les propriétaires…
La révision des bases locatives cadastrales pourrait faire flamber la facture. Cette taxe avait déjà augmenté de 15% entre 2011 et 2017, un rythme quatre fois supérieur à l’inflation. Et pour compenser la disparition de la taxe d’habitation, certaines collectivités ont de nouveau eu la main lourde lors du vote des taux pour 2018 : + 9,7% à Villeurbanne, + 17,5% à Neuilly-sur-Seine, + 27,7% à Nice…
Mais le pire est sans doute à venir. Il est en effet question de réviser les valeurs locatives servant de base au calcul de la taxe, lesquelles sont inchangées ou presque depuis 1970. Le propriétaire d’un bien rénové situé dans un quartier en vogue pourrait alors voir sa facture flamber. Un test mené par Bercy dévoile que 60% des biens subiront une hausse de fiscalité, d’environ 125% pour les appartements et jusqu’à 185% pour les maisons. En moyenne, et sans surprise, cela reviendra à augmenter la taxe foncière du montant de la taxe d’habitation supprimée…
La suppression de la taxe d’habitation ne vise pas les résidences secondaires. Au contraire, depuis 2015, celles situées en zones locatives "tendues" peuvent être frappées d’une taxe majorée. Près de 200 communes appliquent la mesure, dont Paris, Nantes, Montpellier, et une cinquantaine de villes touristiques du Sud. Hélas, la situation empire : la capitale a obtenu, en 2016, que la surtaxe, fixée à 20% au départ, soit portée à 60%. Depuis, elle est passée à 40% à Saint-Jean-de-Luz, à 60% à Nice et à Saint-Nazaire. Elle grimpera à 50% à Bordeaux en 2019. Et la liste devrait s’allonger.