Terres de biodiversité, les Alpes-Maritimes et le Var abritent entre 50% et plus de 90% de la totalité des espèces connues en France métropolitaine. Mais en l'espace d'un siècle cette richesse a été mise à mal par l'urbanisation. Etat des lieux des espèces en danger avec des "vigies" de la biodiversité.
Ils sont les vigies de la flore. Leur mission, au sein du Conservatoire botanique national méditerranéen de Porquerolles: inventorier les plantes et agir pour leur préservation.
"Notre région est l’une des plus riches du bassin méditerranéen en biodiversité," notent Katia Diadema et Benoît Offerhaus. Et les deux botanistes de préciser: "2612 espèces indigènes ont été recensées et évaluées dans les Alpes-Maritimes, et 2266 dans le Var".
Un trésor particulièrement mis à mal au cours du XXe siècle. "On considère que 239 espèces (soit 8,4%) ont disparu dans les Alpes-Maritimes et 108 (4,6%) dans le Var. En l'espace de seulement 100 ans, c'est énorme", s’inquiètent-ils.
"La flore, c'est la clé de voûte des espèces, c'est le socle."
C’est précisément pour préserver la richesse de ce socle que le Conservatoire botanique méditerranéen a été créé en 1979. Sylvia Lochon-Menseau, la directrice de la structure, met en garde contre la "banalisation de la biodiversité" qui nous guette.
"Le risque, explique-t-elle, c’est qu’on ne cultive plus qu’une seule variété et qu’on ne trouve plus que des pommes golden dans les rayons parce qu’elle est productive."
"L'urbanisation, la construction de routes sur le littoral ont détruit des milieux naturels. Par exemple, les marais à Golfe-Juan, à l'embouchure du Var ont disparu dans les années 60 et avec eux toutes les espèces. "
Ces dernières années encore, la construction de Polygone Riviera le long de la Cagne et l'urbanisation de la plaine de l'Argens ont réduit les "zones humides" à peau de chagrin.
"Dans les Alpes-Maritimes, il ne reste plus que 2% du littoral originel."
La situation est à peine plus glorieuse dans le Var.
Si en montagne, la situation est moins critique, les botanistes mettent en avant les menaces liées au tourisme de pleine nature. "Le ski l'hiver, les baignades l’été dans le Loup et l'Estéron, ont des impacts sur la flore des berges."
Le surpâturage fait aussi des dégâts: "Avant, il y a avait plus de troupeaux, mais ils étaient plus petits. Or aujourd'hui, un grand nombre de bêtes se concentrent sur des zones humides où se trouvent des espèces sensibles. Mais aujourd’hui la connaissance sur la flore est là pour pouvoir concilier les différents enjeux du territoire sans pour autant que la biodiversité soit mise à mal."
"Certaines espèces comme la griffe de sorcière qui fait de belles fleurs et vient d’Afrique du Sud, peut coloniser et étouffer la flore endémique, alerte Alain Barcelo. Ce serait une de perte de biodiversité énorme, au profit d’une seule espèce exponentielle. Notre objectif, résume-t-il, c’est donc de l’éradiquer pour retrouver la biodiversité originelle."
L’expérience a été notamment réalisé sur l’île de Bagaud (une réserve intégrale faisant partie du Parc national). "Grâce à l’éradication, on voit beaucoup plus d’espèces locales qui qui s’expriment à nouveau. C’est le cas de la Romulée de Florent, une espèces rarissime, présente entre les îles d’or et le Cap Bénat, qu’on ne trouve nulle part ailleurs au monde."
Avec la destruction de ces "milieux naturels", c'est toute la faune associée qui a disparu.
"On a perdu différentes espèces de batraciens, reptiles, des insectes associés à cette végétation, des oiseaux…
"Malgré les dispositifs de protection, on perd encore des prairies humides sur le littoral, poursuivent Katia Diadema et Benoît Offerhaus. Et ça va aussi affecter l'homme. Avec le changement climatique, nous aurons de plus en plus de forts orages. Or, nous ne bénéficieront plus de ces zones qui jouaient le rôle d'éponge et empêchaient à l'eau d'arriver sur la ville à grande vitesse."
Dans un avenir proche, une espèce d’oiseaux nicheurs sur 3, 30% des amphibiens, 15% des reptiles pourraient disparaître.
Dans le Mercantour sur 153 espèces de vertébrés recensés, 53 sont menacées. La faune est en danger dans les Alpes-Maritimes et le Var.
"Au museum d’Histoire naturelle, nous avons des spécimens d’espèces datant du 19e siècle, capturés à Nice ou à proximité. Certains ne sont plus présents dans notre département, c’est le cas de la loutre par exemple", détaille Olivier Gerriet, zoologue et chargé de conservation.
Plus grave encore, nombre d’espèces vivant dans notre département sont "endémiques", c’est-à-dire qu’elles ont une aire de répartition très petite et n’existent pas ailleurs sur le territoire.
La première menace qui pèse sur leur existence, c’est "la modification des habitats, développe Olivier Gerrier. Bien sûr il y a une évolution standard, une modification naturelle dans le temps, mais l’homme, en urbanisant, détruit totalement des écosystèmes naturels."
Une fois l’habitat détruit, le retour en arrière est long, voire impossible.
Les espèces locales doivent aussi faire face à la menace de certains nuisibles. L’écureuil à ventre rouge, importé d’Asie dans les années 1960, a proliféré et met en danger l’écureuil roux: les perruches à collier, échappés de captivité, s’installent dans les dortoirs d’autres espèces plus vulnérables et les chassent.
Sur les îles d’Hyères où le Parc National de Port-Cros a dû prendre des mesures pour sauver par exemple le puffin yelkouan, une espèce endémique à la Méditerranée.
Les îles d’or abritent 95% de la population reproductrice. Or, le puffin yelkouan, à l’instar d’autres espèces, "risque de disparaître à cause des rats ou des chats qui prolifèrent", observe Alain Barcelo, chef du service connaissance du patrimoine au Parc national de Port-Cros.
"Le problème est augmenté car l’eau lie les écosystèmes entre eux. Le percement du Canal de Suez qui a permis à des espèces de la mer Rouge de remonter et coloniser la Méditerranée", ajoute Olivier Gerriet.
Autre ennemi, le changement climatique. Si le cadre protégé du Parc national du Mercantour a pu faciliter les réintroductions d’espèces victimes d’une chasse excessive au 19e siècle, tels que le bouquetin ou le gypaète barbu, d’autres dites "boréoarctiques" comme le lièvre variable ou le lagopède alpin voient leur habitat fondre... comme neige au soleil.