Dégradations et tags ont été découverts - Immersion dans ces cavités varoises avec les spéléologues
Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)5 Aug 2021
Les spéléologues varois s’inquiètent face à l’augmentation de la fréquentation des cavités du département. En cause, certaines vidéos de youtubeurs qui incitent le public à prendre des risques, au détriment du respect de l’environnement. On est parti, bien accompagné et bien équipé, sur les traces de ces « vandales souterrains ».
Un bon brigand ne laisse jamais de traces sur son passage. Les malfaiteurs que l’on recherche, eux, ont fait tout l’inverse. L’alerte a été lancée par un spéléologue des Bouches-du-Rhône, qui a repéré « des actes de vandalisme » dans une grotte varoise.
Dépité, Philippe Maurel n’a même « pas eu envie de retourner sur place ». Cette cavité qu’il a arpentée des centaines de fois au cours de sa longue carrière de spéléologue et d’éducateur sportif, a été « saccagée par des gens irresponsables » qui ont tagué des flèches à l’intérieur. Sacrilège.
« Ça ne peut plus durer. On se doit de faire passer un message de prévention pour éviter ce genre de méfaits ». Denis Laty, président du Comité départemental de spéléologie du Var (CDS 83) est en colère, lui aussi. Dans son sillage, sa fille Gaby, qui est tombée dedans quand elle avait à peine 2 ans, et Isandre, un jeune licencié du Galamaoud, le club de Carqueiranne.
Pénétrer le monde souterrain et ses labyrinthes de galeries tortueuses est un spectacle à part entière. Difficile d’imaginer que ces tunnels creusés dans le calcaire étaient remplis d’eau il y a des milliers d’années.
Cette grotte varoise dépasse à peine les 2 km de long et se trouve à 20 m sous-terre (sachant que la plus importante du département atteint 400 m de profondeur). Comme dans toutes les cavités de ce type, le climat y est frais. «Tu sens la clim ? » La température avoisine les 15 °C et le taux d’humidité oscille autour des 98 %. Des limaces se prélassent sur les parois aux dégradés de beige, de blanc et de marron. A priori, on ne devrait pas croiser grand monde, si ce n’est quelques insectes cavernicoles – « le plus souvent aveugles, dépigmentés et dotés de grandes antennes » – ou une scolopendre qui a élu domicile à l’entrée du site.
Au bout d’un premier tunnel, l’affaire se corse. Mieux vaut être souple et pas trop claustrophobe. Il faut enjamber, ramper, se contorsionner. « La règle d’or, prévient Philippe Maurel,
c’est que tout ce qui est dans la grotte appartient à la grotte. On ne laisse aucune trace derrière nous. »
Elles sont bien là, pourtant, ces vilaines flèches peintes en vert fluo censées indiquer... la sortie. Denis Laty est désabusé. Mais quelle bande de margoulins a pu commettre pareil péché ?
« C’est une catastrophe. » D’autres flèches orange apparaissent plus loin. « On nous avait parlé que de flèches vertes, soupire le président du CDS83. Celles-ci doivent être plus récentes. » Peu importe la couleur pour Philippe Maurel. Le chargé de com du CDS 83 est daltonien. Le mal est fait. « Ça sert à quoi de tracer ces indications, fulmine Denis Laty. Si vous avez peur de vous perdre, n’y allez pas ! »
Isandre vient de repérer de son côté un reste de papier en tissu qui gît entre deux stalagmites. On soupçonne un malotru d’avoir fait ses besoins sur place. Gaby, quant à elle, vient peut-être de trouver un indice : un vestige de bout de semelle provenant d’une chaussure de sport. « C’est du 42 ! » « Mais c’est pas possible, se désole Denis Laty. Ils ont dû organiser un jeu de rôle ou quelque chose comme ça… »
Un peu plus loin encore, d’autres empreintes humaines. Des mains. Comme une fresque rupestre. Des visiteurs se sont visiblement pris pour des artistes du paléolithique, ce qui a le don d’ulcérer Philippe Maurel. « Les gens ne respectent vraiment pas le milieu ».
Du haut de ses 13 ans, Isandre, le licencié de Carqueiranne, se régale dans cet environnement si singulier. « La spéléologie, dit-il, c’est une ambiance. » Alors lui aussi s’offusque de découvrir qu’un groupe de malandrins a récemment installé un cordage de marin pour accéder en haut de la grotte. Là où justement, les spéléologues refusent de grimper, pour ne pas perturber les minioptères de Schreibers, une espèce de chauve-souris qui a l’habitude de venir se réfugier là, à l’abri du monde extérieur. En repartant, on tombe sur une nouvelle œuvre gravée dans la roche. C’est un cœur signé Jenny et Steve. « Bientôt, résume Isandre, ironique, et terre à terre, on verra un guichet à l’entrée de la grotte ! »
Les spéléologues se désolent de voir des flèches peintes dans cette grotte varoise, où un cadavre de couleuvre a aussi été découvert. Ils y retourneront à la rentrée pour une grande opération de nettoyage.
Denis Laty n’a rien contre le progrès ni contre les réseaux sociaux. Ce qu’il n’apprécie guère en revanche, ce sont leurs dérives. Et ce qui fait sortir de ses gonds le président du Comité départemental de spéléologie (CDS 83), c’est « cette mode des youtubeurs qui se prennent pour de grands explorateurs ». « C’est un véritable fléau qu’on observe de plus en plus », déplore le vigile du monde souterrain. Pour lui, « la problématique est double ». Avec ces vidéos, explique-t-il, « les gens font n’importe quoi en ne respectant pas le milieu. » D’autre part, « ils prennent des risques inconsidérés en s’aventurant dans les grottes sans la moindre connaissance et sans équipement. »
Des hurluberlus qui jouent aux spéléologues en herbe, les professionnels varois en rencontrent souvent. Les derniers en date ? « Ils se sont juste vus mourir », résume simplement Philippe Maurel. Un cas classique. « Deux mecs sont descendus dans une grotte du Var, éclairés avec leur téléphone portable. Et ce qui devait arriver est arrivé : plus de batterie. Ils sont restés coincés dix heures dans le noir... Ils ont eu une chance incroyable parce qu’un copain est passé par là et les a retrouvés. Sinon, c’était fini pour eux ! » Pour les spéléologues varois, la recrudescence des youtubeurs spécialisés notamment en urbex (Contraction « d’exploration urbaine », pratique qui consiste à visiter des lieux abandonnés) n’est pas étrangère à ce genre de mésaventures. « Le problème, résume Denis Laty, c’est que la plupart se présentent comme des spécialistes, sauf qu’ils ne le sont absolument pas. Ils se baladent en short et tee-shirt et ne respectent aucune mesure de sécurité. »
Or « il faut être humble face à la nature », répète Philippe Maurel qui, lui, organise des sorties bien encadrées. La dernière vidéo d’un prétendu explorateur, sans foi, ni loi, ni casque, qui embarque sa fille dans une grotte du coin, a encore fait bondir le spéléo. « Ces gens-là courent après le nombre de vues, et dès qu’on leur envoie un message, ils ne nous répondent pas ou nous demandent de quoi on se mêle. Ils nous prennent pour des cons. »
Un autre exemple ? Pour protéger la quiétude des chauves-souris qui ont l’habitude de se réfugier dans une grotte varoise, le CDS 83 a posé un panneau explicatif pour inciter les visiteurs à ne pas monter plus haut… « La dernière fois qu’on y est allé, raconte Denis Laty, on a justement croisé des jeunes qui avaient bien vu le panneau. On leur a fait remarquer mais ils nous ont répondu que le mot leur avait donné envie d’aller voir ! »
Les spéléologues ont du mal à cacher leur impuissance. D’autant que des guides officiels, on n’en compte plus que quatre dans le Var. Alors se pose la question de la « transmission ». « On a peur que personne ne prenne la suite », s’interroge Philippe Maurel.
Sans relève, la prévention s’annonce compliquée. C’est pourtant l’une des raisons d’être du CDS 83. « On ne veut pas que les cavités soient fermées, résume Denis Laty. Au contraire, on se bat pour qu’elles soient accessibles à tous et explorées par des gens raisonnables. Mais pour cela, il faut informer, rappeler les règles de sécurité et expliquer aux gens comment se comporter, sans nuire à l’environnement souterrain. »
Le Var est-il une terre de spéléologie ?
On compte plus de 2 343 grottes dans le Var dont la plupart sont assez faciles d’accès. Le problème, c’est qu’on a très peu de cavités d’initiation pour faire découvrir la spéléologie au grand public. En général, elles sont très difficiles, ce qui n’empêche pas certains de s’y aventurer sans prendre les précautions nécessaires.
Constatez-vous une augmentation de ces visites souterraines ?
Le printemps et le déconfinement ont eu des effets dramatiques puisque les grottes varoises ont été assaillies. En tant que professionnel, j’ai eu beaucoup de sollicitations pour des visites en groupe. Et puis il y a ceux qui font un peu n’importe quoi après avoir vu des vidéos de youtubeurs.
Spéléo et réseaux sociaux ne font donc pas bon ménage ?
Ce phénomène a fait décupler la fréquentation des grottes ces dernières années. Tout est parti de l’urbex (). C’est tout à fait louable ce que font ces jeunes, mais certains incitent parfois à faire des bêtises…
Quel genre de bêtises ?
Ils donnent de mauvaises idées dans leurs vidéos alors que la spéléologie se pratique dans les règles de l’art. Eux se moquent des mesures de sécurité qui sont pourtant essentielles. Il y a trois ans, une simple publication sur Instagram a entraîné un déferlement de personnes dans les sources de l’Huveaune (dans le haut Var). Après, les sites sont dégradés.
Mais que fait la police ?
Justement, les autorités ne peuvent pas faire grand-chose. Quand on croise des gens pas équipés, on leur dit, mais trois fois sur quatre, ils nous envoient balader. On a un devoir d’informer en tant que professionnel, on signale les conduites à risques et on prévient la gendarmerie si on voit des mineurs en danger... Mais nous n’avons aucun pouvoir de police.