Aurélien Passeron sur les restanques de son exploitation agroforestière - Photo Quentin Lazeyras
Publié le 26 août 2020 à 18h00 Par Quentin Lazeyras
Des parcelles limitées, des périodes de sécheresse de plus en plus longues: face à ces contraintes, des agriculteurs tentent de s'adapter. Aurélien Passeron, agriculteur depuis 4 ans à l'Escarène, s’est lancé dans l'agroforesterie. Ce mode d'agriculture permet d'associer des cultures pour produire toute l'année et de créer des écosystèmes plus résilients.
Face à l'urbanisation du littoral azuréen, les terres agricoles encore disponibles se situent essentiellement dans l’arrière pays. Dans ce moyen et haut-pays fait de vallées étroites et de montagnes, le sol n’est pas plat, il est donc difficile d’y réaliser de larges cultures et d’être rentable.
À cette première contrainte s’ajoute celle de qualité des sols. "Ils sont assez calcaires, si on ne leur permet pas d'être fertiles, et rendent donc l’agriculture éminemment compliquée" affirme Sylvie Soave, notre abonnée-experte et professeure au Campus vert Azur d’Antibes.
"Il n’y a pas de terrain vierge ici. Il y a toujours des oliviers, des figuiers, qu’importe. N’ayant pas de parcelle dédiées au maraîchage, on est obligé de s’adapter", remarque Aurélien Passeron, agriculteur à l’Escarène.
À ces contraintes, s’ajoutent celles d’un climat méditerranéen de plus en plus marqué par de longues périodes de sécheresse. La météo alterne entre vague de chaleur, froid intense, sécheresse et forte pluie.
À l’Escarène, Aurélien Passeron cultive des plantations d’une manière bien particulière. Ce nom est bien connu dans la région. C’est le dernier Niçois à avoir participé au Tour de France. Pour arriver sur l’exploitation de cet ancien cycliste professionnel, il faut enchaîner les petites routes sinueuses et escarpées. Ici, les cultures s'intercalent finement, tout en longueur sur les étages formés par les restanques. Aurélien Passeron y pratique l’agroforesterie.
Le principe est simple: associer les cultures. Des arbres fruitiers, des buissons, des plantes grimpantes, des aromates des légumes et / ou des animaux se retrouvent sur même parcelle.
Lorsqu’il a mis fin à sa carrière de cycliste professionnel en 2016, Aurélien Passeron a décidé de reprendre l’exploitation oléicole de ses parents sur les pentes de l’Escarène. "Je me suis lancé dans l’agriculture avec des techniques agroforestières par amour de la terre et de la nature," lance-t-il. Face aux contraintes avec lesquelles il doit composer, Aurélien a logiquement dû s’adapter avec ces pratiques agricoles. Un choix qu’il ne regrette pas.
Aux “restanques d’Aurélien”, le dénivelé est impressionnant. Jusqu’à 100 mètres abrupts peuvent séparer une rangée de grenadiers et une serre de tomates. Photo Quentin Lazeyras.
Sur les quelques hectares qu’il cultive, on trouve des cultures estivales, automnales et hivernales. Son objectif premier est de pouvoir produire toute l’année. Une serre de tomates par-ci, une plantation d’aubergines par-là, la fameuse courgette de Nice dix mètres en contrebas, quelques blettes ou encore des haricots-verts. De part et d’autre, comme pour les délimiter, les oliviers par dizaines et surtout des grenadiers.
Ces grenadiers sont le fer de lance d’Aurélien. Il y a deux ans, il en a planté près de 300. Leurs premiers fruits devraient arriver d’ici 2022.
Depuis qu'il s'est lancé dans l'agroforesterie, Aurélien Passeron a planté près de 300 arbres en 4 ans. Quentin Lazeyras.
Mais alors pourquoi des grenadiers? Les arguments d’Aurélien sont nombreux. Il évoque d’abord les bénéfices gustatifs et les valeurs nutritives. Mais l’avantage le plus intéressant de cet arbre fruitier est sa force.
"Le grenadier c’est un arbre qui ne craint pas la chaleur, et il est assez rustique face au froid. Aujourd’hui il faut trouver des cultures qui acceptent toutes les variations. De l’extrême vers le chaud à l’extrême vers le froid. Il faut se mettre en tête ces éventualités car concernant le climat, il n’y a plus de logique," souffle le producteur.
"Si je me suis lancé dans ce mode de production c’est aussi pour être capable d’avoir une production toute l’année" développe-t-il. Pour lui, l’agroforesterie est une vision équilibrée entre le présent et le futur. “Pour répondre à un enjeu instantané, on peut par exemple ramasser des blettes dans l'immédiat et probablement, on pourra récolter les fruits sur l’arbre dans quelques années.
Les arbres, c’est l’avenir et le maraîchage, c’est la spontanéité.
Une temporalité qui lui permet au long de l’année de développer ses différentes cultures et même d’expérimenter.
Cette culture de blette profite de l'ombre de l'olivier qui bénéficie lui aussi de cette plantation Photo Quentin Lazeyras
Faire pousser des blettes sous des oliviers est avantageux car les arbres apportent une part d’ombre importante, propice aux cultures. "Ça permet d’avoir un peu moins besoin de les arroser et elles s'habituent aussi à des températures plus chaudes.
On peut imaginer qu’en période de sécheresse, elles souffriront moins du fait qu’elle se sont adaptées à avoir moins d’eau mais plus d’ombre.
Il ne faut pas pour autant y voir la possibilité de cultiver sans eau. Une aberration pour Aurélien.
Au détour d’une restanque, l’Escarènois décrit un autre impact très visible de l’agroforesterie sur un plaqueminier. Depuis qu’il a repris l’oliveraie de ses parents, cet arbre n’a jamais donné de fruits. Pour la première fois en quatre ans, de beaux kakis y mûrissent en plein soleil. Pour Aurélien c’est évident, l’arbre profite de l'arrosage et des engrais du maraîchage qui se trouve à ses racines.
Pourtant, il ne dit pas en prendre particulièrement soin. La collaboration entre le plaqueminier et les courgettes de Nice s’y est fait naturellement. Et ces associations de cultures sont multiples. Des pastèques au pied de grenadiers, des blettes sous des oliviers etc.
Avec son oliveraie il se base d'ailleurs sur l’olive de table. L'huile est un produit trop ingrat à ces yeux. Les dernières récoltes ne sont pas au rendez-vous.
"Une bonne récolte? C’est à peine une tous les trois ans," estime Aurélien. Pourtant il espère tout de même voir ses oliviers regagner en vitalité grâce à ses pratiques agroforestières.
Mais pas question de faire n’importe quoi. Certaines associations de cultures ou d’animaux ne peuvent pas fonctionner ensemble prévient Sylvie Soave. Aurélien a dû apprendre ces techniques. Pourtant rien de nouveau confie-t-il.
On n'a rien inventé ! Je fais comme les anciens. On a simplement oublié certaines de leurs façons de faire.
Il a tout réfléchi et pensé pour qu’aujourd’hui les écosystèmes puissent être dans une sorte de symbiose.
Figuiers, oliviers, grenadiers se mélangent au cultures sur les restanques d'Aurélien - Photo Quentin Lazeyras
Aurélien Passeron souhaite la collaboration la plus fructueuse possible avec l'environnement qui entoure son exploitation. Un grand sorbier d’au moins 5 mètres de haut recouvre une partie de parcelle. Attirés par les fruits de cet arbre les oiseaux vont protéger les cultures et notamment les tomates en mangeant les chenilles qui s’y attaquent.
De toute façon dans la nature, il y a les ravageurs et ceux qui nous aident face à eux."
Une sorte de boucle naturelle que décrit Aurélien.
Il a aussi fait appelle à d’autres ‘dé-ravageurs’ pour défendre ses cultures: "Dans quelques serres on a installé des insectes qui mangent les pucerons. On essaye de réguler en contribuant à l’écosystème."
Prochaine étape: il a décidé d’incorporer d’ici l’an prochain des bourdons à ces serres. Une aide qui lui sera précieuse pour la pollinisation de ces plants.
À Antibes sur le campus vert d’Azur la chercheuse Sylvie Soave est spécialisée en agronomie et en systèmes d’alimentation durables et locaux. Pour elle, "l’objectif de l'agroforesterie, c’est que chaque écosystème profite des uns et des autres".C'est un pas en avant considérable, mais sans un doute, elle ajoute: "On ne peut pas cultiver que des végétaux". Pour elle il faut se tourner vers ce qu’on appelle l’agropastoralisme.
"Il faut penser les arbres, les forêts, les cultures mais aussi les animaux qui y vivent." Le pastoralisme étant répandu dans la région, il faut d’après notre abonnée-experte développer les écosystèmes en y ajoutant la faune. "C’est évident qu’aujourd’hui les régimes alimentaires ne sont pas seulement végétariens. Il nous faut de la viande et donc les intégrer aux écosystèmes."
La faune, elle aussi apporte à l’environnement et aux cultures. Les animaux peuvent se nourrir de végétaux qui ne sont pas utiles pour l'agriculture. D’autant que ce sera du travail en moins pour débroussailler les plantations. "Avec les polycultures-élevages les excréments des bêtes peuvent directement fertiliser les sols ou servir en fumier", argumente-t-elle.
Olives- photo Quentin Lazeyras.
Mais la mise en place de ces techniques agroforestières peut-elle endiguer les problèmes dûs au réchauffement global de la planète? Face au dérèglement climatique qui est inéluctable, Aurélien reste prudent.
"Ça m'embêterait évidemment de ne plus pouvoir cultiver comme je le fais, c’est sûr. Mais je sais que je ne peux pas pallier plus que ça." Pour lui, il faut avant tout agir. Fini les grandes théorie sur l’écologie, et les "belles idées" comme il les appelle. Il faut changer les choses maintenant.
"Ce qui impacte directement l’environnement c’est les arbres, les cultures, les végétaux qui vont capter le CO2 et rendre les sols vivants. C’est nous qui le faisons. C’est nous qui plantons au quotidien."
Aurélien montre tout de même une once d’optimisme notamment sur l’impact environnemental et climatique de l’agroforesterie.
Si on met en place ce système à l'échelle nationale, ça aura peut-être des répercussions intéressantes pour l’avenir."
Aujourd’hui, l’agroforesterie serait pratiquée par environ treize-mille agriculteurs en France sur une surface d’un million d’hectares, ce qui correspond environ à la superficie cumulée du Var et des Alpes-maritimes.
L’objectif final, en plus de la productivité, est de réussir à imaginer des systèmes complémentaires pour récupérer le cycle originel de la nature. Rendre les sols plus vivants permet de faire face au problème des inondations.
"Tout ce qui se passe en altitude, impacte le littoral," détaille la chercheuse du Campus Vert Azur. Les sols sont particulièrement secs et de plus en plus bétonnés. Ainsi, ils ne sont plus capable d’absorber l’eau issue de fortes précipitations dans les montagnes. La Côte d’Azur est elle aussi bétonnée et n’est donc plus capable de retenir ces flux d’eau. Des précipitations qui pourraient créer de dangereuses crues jusque dans les villes. "Au contraire, si les sols regagnent en matière organique, ils pourront devenir des éponges et se gorger d’eau. Ce qui évitera des problèmes d'inondation en amont," conclut Sylvie Soave.