L'historien local AndréTardy estime que les vestiges de Telo Martius découverts à Besagne en 1987 sont une fausse piste. Il défend une hypothèse puisée dans un ouvrage du XIXe siècle
Publié par Mathieu Dalaine le 11 avril 2023
Fermons les yeux et imaginons. Imaginons cette bourgade antique de 3.000 habitants nichée au cœur d’une rade magnifique. Imaginons cette petite ville qui vit au rythme de ses échoppes. Les enfilades de maisons sont ici ponctuées de villas luxueuses, de fontaines reliées à la source Telo, au pied du Faron. Imaginons ce port où se vendent vin, huile, cuir et autres étoffes teintes aux navires venus de tout l’empire romain. Imaginons-le… mais où?
Longue de 6 à 8mètres, les barques romaines découvertes à l’occasion de la construction du centre Mayol en 1987 seraient la preuve de l’existence du port antique de Toulon, selon les archéologues. Mais pas d’après l’historien local André-Jean Tardy. Photo DR
"Le port romain de Telo Martius était à Castigneau, dans l’actuelle enceinte militaire", assure aujourd’hui André Tardy. D’après l’ancien directeur de la régie municipale des eaux, historien à ses heures (1), la théorie communément admise, qui voudrait qu’un port antique ait été implanté entre l’actuel centre commercial Mayol et la place de l’Équerre, est erronée.
En rouge, l'emplacement supposé du port antique par l'historien local André-Jean Tardy. En bleu, l'emplacement du port découvert par les archéologues. En vert, la cité antique.
Sauf que pour les archéologues, le fait est entendu depuis plus de trente ans. Depuis la découverte en 1987 de barques romaines à Besagne, entre autres vestiges dénichés lors de larges fouilles dans le centre ancien, preuve serait faite de l’implantation d’un port antique à cet endroit. L’an dernier, un ouvrage sur le sujet, intitulé Toulon (Telo Martius), une agglomération portuaire romaine de la cité d’Arles, a même été édité aux Presses universitaires de Provence.
"Je ne conteste pas ce qui a été exhumé dans les années quatre-vingt, pose André Tardy. Mais on parle là d’un débarcadère composé de deux barques chargées de pierres, puis coulées, ainsi que d’un alignement de troncs de chênes! Dire que cette fruste réalisation serait un port fait offense à l’ingénierie maritime romaine." Le Toulonnais brandit le tome I d’Histoire de Toulon, un livre écrit en 1886 par un certain Gustave Lambert. "Il y rapporte les communications, à leur ministre respectif, de deux hommes de l’art, directeurs des fortifications de Vauban, qui évoquent à 65 ans d’écart la mise au jour de débris de quais romains. Cela à du sens."
Et d’argumenter: "L’existence d’un aqueduc entre Telo et Castigneau a été attestée. On peut imaginer que cette eau approvisionnait une teinturerie éloignée du centre urbain pour limiter les nuisances. Rappelons que c’est cette activité économique – la teinture d’étoffe – ainsi que le négoce de vin et d’olives, qui a permis au port de Telo Martius de se développer."
Problème: aucune trace de ces quais n’a été retrouvée à l’époque contemporaine. Tout cela aurait été détruit par les agrandissements successifs du complexe militaire, croit savoir André Tardy
"On ne fait pas l’histoire avec des théories ou une approche émotionnelle, balaye Marina Valente, directrice du Centre archéologique du Var. Que Monsieur Tardy apporte des preuves! Nous – des archéologues, un professeur au Collège de France, une directrice de recherche au CNRS… – on a des preuves matérielles, documentées et datées. Telo Martius n’était sans doute pas un port aussi important que Fréjus, mais si cela avait été le cas, il aurait été cartographié…"
Du haut de ses 87 ans, fort d’un caractère trempé, André Tardy ne craint pas plus l’adversité qu’un procès en érudition. Défendant son "étude de cinquante pages" qu’il vient d’achever, il n’en démord pas: "C’est à Castigneau, où a été mis à profit un grau sur la rive gauche de l’estuaire du Las, qu’a été construit le port romain."
Quid, alors, des installations découvertes dans le centre-ville? "Vers -50, le port gréco-romain d’Olbia, à Hyères, est devenu inabordable. C’est à Toulon que les Obliens ont probablement trouvé l’emplacement le mieux adapté pour continuer leur négoce. À Telo Martius, co-existèrent deux ports: l’un de commerce, à Besagne, réalisé à la hâte; l’autre à Castigneau, d’État, militaire, réalisé par l’ingénierie romaine, à la charge de l’empire."
Horeiae vs Horiae
C'est un autre combat, toponymique celui-ci, que mène André Tardy depuis des années. "Le nom des barques romaines retrouvées à Besagne n'est pas Horeia, mais Horia", assure-t-il, contre vents et marées.
L'historien local en veut pour preuve le fait qu'Horia soit un mot attesté en langue latine signifiant barque de pêcheur d'après le dictionnaire Gaffiot. Le terme Horeia, lui, a été découvert sur une mosaïque réalisée en Tunisie, représentant un petit bateau similaire aux embarcations toulonnaises. D'où le nom de baptême choisi par les archéologues. Mais pour André Tardy, il s'agit possiblement là d'"une erreur orthographique du scribe".
C'est ainsi qu'il y a 30 ans, le Toulonnais s'est rendu en mairie pour interpeller le service municipal dédié aux noms de ruess. "Il y a cet escalier le long de Mayol, entre la place des Mûriers et la place Besagne, qui était baptisé Montée des Horeiae. J'ai tout expliqué au fonctionnaire qui a accepté de corriger la plaque en mettant Horiae !" (Horia au plueirl, ndlr).
Au fil de ses recherches, André Jean Tardy s'est également interrogé sur l'origine du nom romain de Toulon, "Telo Martius". Si Telo évoque un dieu celte qu désigne l'actuelle source Saint-Antoine, autour de laquelle le premier foyer de population s'est créé, Martius, lui, ne serait pas une référence au dieu latin de la guerre d'après l'historien toulonnais, qui entend -là encore !- tordre le cou à la version officielle.
Seuls deux ports portent le nom de Martius en Méditerranée ! Narbo Martius, soit Narbonne, et Telo Martius, soit Toulon, pose André Tardy. Or Narbonne fut le premier port de Rome fondé en terre étrangère. Pour marquer le coup, l'empire a sans doute voulu accoler au nom indigène Narbo, le second terme d'Ancus Martius, qui fut, selon la légende, le roi fondateur d'ostie, premier port de Rome.
Poursuivant son raisonnement, l'ancien directeur du service des eaux pense que Toulon a eu droit aux mêmes honneurs, lorsque le port de Narbonne est parti en fumée. "En 145, un gigantesque incendie a détruit la quasi totalité de la ville. Afin de continuer les vocations narbonnaises -port et teinturerie-, l'empereur Antonin a ordonné la création d'un port et d'un ensemble industriel à Toulon. C'est là qu'il a probablement choisi de lui accoler le terme Martius..."
Une hypothèse qui accréditerait, du coup, celle de l'existence d'un port d'envergure au pied du Faron... et contredirait de fait la théorie de sa localisation à Besagne, où les installations retrouvées paraissaient plus sommaires.
1. André Tardy est notamment l’auteur d’Histoire de Toulon, de Telo à Amphitria (5 tomes).