Envol de pigeons
Pigeonnier à Lourmarin
Ils sont tous différents car chacun les édifie selon ses moyens. Ceux dits "à pied" sont l'apanage des grands domaines et ils accueillent des milliers de volatiles du bas jusqu'en haut de la bâtisse. Ceux-là sont assujettis à des taxes jusqu'à la Révolution, dont seuls les seigneurs peuvent s'acquitter. Ici et là s'érigent des structures plus modestes, sur solives ou à cheval, dispensées de toute autorisation de construire. Ceux-là n'hébergent des pigeons que dans la partie supérieure de l'édifice : le rez-de-chaussée sert de remise ou de poulailler, et l'étage supérieur, de réserve pour le récoltes. Somptueusement coiffés d'un clocheton polychrome ou encastrés dans la falaise tels les singuliers pigeonniers rupestres de Quinson (04), de Lauris (84) et des Baux (13), moulins à vent ou tours de guet moyenâgeuses détournées, ils ont en commun le souci de leurs hôtes. Larges lucarnes aménagées dans le toit pour faciliter le ventilation, grilles d'envol plein sud, à l'abri du mistral et de dimensions réduites, histoire de barrer l'accès aux buses et aux faucons.
Pigeonnier à Tavernes
Pigeonnier à Lanson
Généralement, une randière, mosaïque de carreaux vernissés vert olive, mordorés, rouges et bruns, ceint le pigeonnier ou du moins les ouvertures, empêchant l'ascension des rats, belettes et fouines. Sur la hauteur du bâtiment, courent des larmiers, souvent en tuiles, parfois en pierre ou en lauze. Disposées en génoise, voire en une ou plusieurs rangées successives, ces cordelières, outre qu'elles coupent la monotonie verticale de la façade par leurs courbes et surplombs, renforcent la solidité de l'édifice et servent de promenoirs au pigeons. Le pigeonnier conjugue ornements et accessoires et présente une typologie différente selon les régions. Aux abords du delta du Rhône, l'architecture flirte avec les chaudes tonalités de la pierre blanche, exempte de carreaux vernissés, percée d'ouvertures en pyramide. Près d'Aix-en-Provence comme sur les premières terres brûlées de Haute-Provence, la préférence est donnés aux colombarii cylindriques, inspirés de l'Antiquité.
Bories colombiers
Les bories de Gordes appelées les trois soldats, dont deux pigeonniers
Tous valent le détour comme ces pigeonniers-bories de Gordes, surmontés de quilles en pierre (symboles phalliques de fertilité) au nombre de trois dont deux pigeonniers, ou bien celui construit au XVIe siècle dans l'ombre du château de Lourmarin, naguère riche de trois mille boulins.
Brue pigeonnier
Le colombier de Brue-Auriac
A Brue-Auriac (83), le plus grand colombier de France du XVIIIe siècle est l'un des plus étonnants. Il est répertorié comme étant un des plus beaux pigeonniers de Provence et d'Europe : 22,50 m de haut et 12,43 m de diamètre. Il pouvait contenir plus de 1500 pigeons. Sa toiture est soutenue et décorée de pilastres. Le pigeonnier a été construit aux environs de 1750 par Georges Roux de Corse, armateur Marseillais qui élevait des pigeons voyageurs. Il est bâti sur un plan circulaire, de manière à pouvoir installer une échelle tournante permettant d'accéder individuellement à chacun des nids appelés "boulins" : un arbre vertical élevé au centre de la tour soutenait une échelle verticale ou inclinée se déplaçant à une faible distance de la paroi.
Pigeonnier de Limans
A ces construction circulaires, d'autres préféreront la tour carrée, plus facile à bâtir : lucarnes au niveau de la toiture en cascade ou "pied-de-mulet", bandeau aux rives des murs pour protéger des vents dominants, grilles d'envol flanquant la façade principale en Camargue ou dans les Alpilles, pierre de taille sur encorbellements, à l'instar du pigeonnier de Limans, dans la pays de Forcalquier (04).
Si ces pigeonniers sont volontairement isolés, d'autres s'adossent carrément aux bâtiments d'exploitation. Ainsi au château de Calissanne, entre La Fare-les-Oliviers et Saint-Chamas, un colombier néogothique du XIXème siècle aux allures fantasmagoriques trône dans l'angle d'un bâtiment, véritable rotule dans la liaison des volumes. Cent mètres en contrebas, un pigeonnier sur toit embrasse la campagne alentour. Le prieuré de Saint-Roch, à Tarascon, abrite, lui, une belle construction en pierre coiffée d'une dôme et d'un escalier de même facture.
Chapelle-colombier de Sainte Madeleine à Mirabeau
Près de Pertuis, la chapelle-colombier de Mirabeau, du haut de son roc, domine la Durance depuis le XIIIème siècle ; construction de style roman, avec façade et clocher dotés de pierres en relief en guise de plage d'envol. Combien de colombiers singuliers se voient ainsi en terre provençale ? Plusieurs milliers... Laissez traîner le regard du côté des propriétés agricoles, en plaine ou à flanc de coteau, vous en découvrirez de nouveaux, spectaculaires dans l'équilibre des volumes. Ces sentinelles du patrimoine offrent à chacun de survoler l'histoire rurale, de rappeler qu'ici en Provence, la liberté architecturale fut acquise aux roturiers bien avant la Révolution. En espérant que ces petits bâtis trop souvent voués à la ruine mais classés à l'inventaire des Monuments historiques cependant, demeureront encore longtemps des bastions du paysage méridional.
Pendant le Moyen Age, la construction d’un colombier (pigeonnier) était un privilège réservé à la féodalité. Le pigeonnier était un signe extérieur de richesse. En effet, sa grandeur dépendait de la superficie en culture de céréales du domaine. Au Moyen Age, la possession d’un colombier à pied, construction en dur séparée du corps de ferme – ayant des boulins de haut en bas – était un privilège du seigneur haut justicier. Pour les autres constructions, le droit de colombier variait suivant les provinces. Les colombiers devaient être en proportion de l’importance de la propriété, placés en étage au-dessus d’un poulailler, d’un chenil, d’un four à pain, d’un cellier…
Généralement, les volières intégrées à une étable, une grange ou un hangar, étaient permises à tout propriétaire d’au moins 30 arpents (environ 2.5 hectares) de terres labourables, qu’il soit noble ou non, pour une capacité ne devant pas dépasser suivant les cas 60 à 120 boulins. Dans la pratique, le pigeonnier était utile à plusieurs choses : il fournissait une viande très appréciée, mais son rôle essentiel était, peut-être la fourniture d’engrais (la colombine), pour le potager notamment. Les pigeons servaient également au dressage des faucons pour la chasse. Mais les pigeons étaient vus comme une catastrophe par les cultivateurs, en particulier au moment des semailles. Il était donc nécessaire d’enfermer les pigeons dans le colombier lors des semis agricoles, en obstruant les ouvertures du colombier. Dans de nombreuses régions, les cahiers de doléance demandèrent la suppression du privilège de posséder un pigeonnier. Cela qui sera entériné lors de la fameuse nuit du 4 août 1789 par les députés de l'Assemblée constituante(abolitions des privilèges).
A Gordes, se trouvent trois bories dites "Les Trois Soldats", où deux pigeonniers en pierre sèche encadrent une cabane de paysan. Le dispositif d’envol se trouve au-dessus du linteau de l’entrée ; au fond d’un vide rectangulaire, une dalle en molasse calcaire posée de champ est percée de deux trous au carré pour le passage des pigeons.