Quelques centaines de milliers de Français sont dans la rue pour protester contre l’obligation d’un « passe sanitaire ». Il ne s’agit plus simplement d’un mouvement d’humeur mais d’une révolte populaire qui n’est pas sans rappeler le mouvement des Gilets jaunes (2019) et celui des Bonnets rouges (2013).
Pas question ici de prendre position sur l’obligation du passe sanitaire. Nous ne nous demanderons pas s’il s’agit d’une mesure de salut public ou d’une atteinte insupportable à la liberté. Mais nous nous interrogerons sur la notion de liberté et le respect des procédures démocratiques par le gouvernement français...
Dans le droit fil de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, nous tendons à penser que la liberté « consiste à faire tout ce qui ne nuit pas à autrui » (Article IV de la Déclaration). Ainsi puis-je revendiquer le droit de ne pas me vacciner, ne pas attacher ma ceinture de sécurité, ne pas inscrire mes enfants à l'école, mais aussi porter un voile (si je suis une femme) ou encore payer une femme pour qu'elle porte un enfant conçu à partir de mes gamètes.
L'application stricte de cette définition conduit à une impasse. Il faut beaucoup de contorsions en effet pour justifier d'un côté le refus de se faire vacciner, d'autre part l'acceptation de la ceinture de sécurité. Si j’accepte l’obligation de porter la ceinture de sécurité en voiture ou encore de me faire vacciner contre la fièvre jaune quand je vais dans certains pays, pourquoi devrais-je contester l’obligation du passe sanitaire dans les magasins et les lieux de spectacle ?
On pourra rétorquer que le vaccin contre la fièvre jaune a été validé par l’expérience, ce qui n’est pas le cas du vaccin contre le covid. C’est affaire de débat et c’est là le nœud de l’affaire. Qui peut juger du bien-fondé d’une contrainte ? Face à un enjeu collectif, chacun est-il habilité à agir selon son opinion personnelle, ce qui revient à supprimer toute contrainte ?
Chaque société, pour conserver sa cohésion, doit imposer des règles de conduite communes, comme par exemple, en France, inscrire ses enfants au cursus scolaire commun, respecter le code de la route, ne pas dissimuler son visage, ne pas faire commerce de ses organes, etc. Toutes ces obligations et bien d’autres, qui limitent de fait la liberté individuelle, sont admises par l’ensemble des citoyens. Pourtant, elles ne coulent pas de source et plusieurs d’entre elles sont ignorées par des pays tout aussi démocratiques que la France.
Les députés de l’Assemblée nationale de 1789 ont eux-mêmes convenu de la nécessité d’imposer des bornes à la liberté individuelle. Ils ont pris soin de souligner que « ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi » (Article IV) en précisant : « La loi est l'expression de la volonté générale » (Article VI). En d’autres termes, la loi doit émaner du Peuple souverain (j'aime bien cette formule qui nous vient de Rousseau). C'est essentiel pour l'acceptabilité de la loi car toute loi contient des obligations susceptibles d'affecter telle ou telle catégorie de citoyens. Une loi qui ne gênerait personne et ne contiendrait que des obligations consensuelles serait inutile.
Si une loi est promulguée sans débat comme il est de règle dans les régimes despotiques, les catégories affectées par cette loi vont tendre à s’y opposer de toutes les façons possibles (révolte ou désobéissance massive) en arguant de son illégitimité. Le gouvernement n’aura d’autre solution que de mettre au pas les récalcitrants par la répression et les tribunaux.
Si par contre une loi est véritablement débattue au Parlement, alors les citoyens auront le loisir de peser les termes de l’enjeu et d’en discuter entre eux s’il en est besoin. Au final, ils seront portés à accepter le vote de leurs députés et il ne sera pas nécessaire de mobiliser policiers et juges pour faire appliquer la loi. C’est tout l’avantage de la démocratie (étymologiquement, le « gouvernement par le peuple ») sur le despotisme (le « pouvoir d’un seul »)... Et c'est d'évidence ce qui a manqué à la loi sur le passe sanitaire, dont le vote, acquis d'avance, n'a pas fait l'objet d'un débat approfondi et contradictoire.
Dès lors que les gouvernants jouent le jeu de la démocratie, dès lors que les citoyens connaissent et comprennent les règles sociales qui s'appliquent à chacun et les limites qui s’appliquent à leurs pulsions et leurs désirs, chacun peut vivre dans la sérénité. L'ennemi de la liberté, ce ne sont pas les limites à cette liberté, sous réserve qu'elles aient fait l’objet d’un vote démocratique, mais c'est l'arbitraire et l'opacité.
Parions que si le gouvernement français avait laissé les parlementaires dé-battre du passe sanitaire sans leur forcer la main, nous n'en serions pas venus à nous battre dans la rue à son propos ! Dès le début de la pandémie, notons-le, il a requis l’état d’urgence. En s'appuyant sur une majorité de députés « godillots », il a pu faire passer des mesures coercitives d’une rare violence (confinement général) et parfois ubuesques (auto-attestations de sortie, limitation à 30 du nombre de fidèles dans les lieux de culte, cathédrale ou chapelle, etc.).
Les manifestations contre l’obligation du passe sanitaire traduisent l’exaspération de citoyens privés d’un débat démocratique et ouvert sur ces questions comme sur bien d'autres. Cette exaspération a des racines profondes. Elle vient en premier lieu de la judiciarisation de la loi, qui a débuté avec l’extension du droit de saisine du Conseil Constitutionnel en 1974, sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing. Depuis lors, les magistrats français et européens, sans autre légitimité que d’avoir été nommés à leur poste par des homologues bienveillants, n’ont de cesse de grignoter des parcelles de pouvoir. Ils en viennent à encadrer la loi sans que les représentants du Peuple souverain aient leur mot à dire.
La classe politique a accepté cette judiciarisation parce qu’elle sert son dessein, qui est de déléguer aux instances européennes les instruments de la souveraineté nationale : monnaie, maîtrise des frontières, droit de la citoyenneté, etc. Chaque fois qu’émerge une tentative de renforcer la souveraineté nationale, autrement dit la maîtrise de leur destin par les citoyens, il se trouve un tribunal (Conseil Constitutionnel, Conseil d’État, Cour de justice européenne) pour y faire obstacle avec les meilleures intentions du monde.
Si les députés s’inclinent si facilement, c’est que depuis l’introduction du quinquennat en 2000 et l’alignement du mandat présidentiel sur la législature, il n’y a plus de débat véritable au Parlement. Les élections législatives suivant de quelques semaines l’élection présidentielle, les électeurs sont naturellement portés à donner une majorité très confortable à l’hôte de l’Élysée, lequel se trouve dès lors assuré pendant cinq ans d’un pouvoir quasi-absolu, plus important que celui dont pouvait jouir Louis XIV !
L’illustration la plus percutante de cette dérive antidémocratique nous a été fournie en 2005 (16 ans déjà !) par le référendum sur le traité constitutionnel européen. Au terme d’une campagne intense et richement argumentée, ce texte a été clairement rejeté par les citoyens et malgré cela imposé par la classe politique, tous bords confondus, sous le nom de traité de Lisbonne.
Sauf sursaut démocratique comme nos cousins britanniques en ont donné l’exemple en restaurant leur souveraineté, il est à craindre que nous nous éloignions de l'idéal démocratique avec un pouvoir qui ne laisse aucune chance au vote populaire chaque fois que celui-ci cherche à exprimer sa différence ou ses inquiétudes, que ce soit sur les institutions européennes, l'écotaxe ou le passe sanitaire.
André Larané
COMMENT REDONNER LA PAROLE AUX CITOYENS. Épisode 4. De plus en plus de communes françaises consacrent une partie de leur budget à la réalisation de projets portés par leurs citoyens. La ville du Pradet est la première du Var à avoir testé le principe du budget participatif. Explications.
De nouveaux courts de tennis pour les jeunes, des panneaux photovoltaïques pour produire une énergie propre, une fontaine entièrement rénovée… Au Pradet, les projets ne manquent pas. Les idées non plus. Rien d’affolant sur le papier certes, sauf que la grande particularité de ces chantiers, c’est qu’ils ont été décidés... démocratiquement. Grâce à la participation directe des habitants.
Tel est le principe du budget participatif adopté par la petite commune varoise, et qui fait aussi florès un peu partout en France. La pratique ne date pas d’hier. La municipalité pradétane n’a rien inventé. Du moins pas dans ce registre.
Le concept de budget participatif est apparu au Brésil il y a trente ans, sous l’impulsion du Parti des Travailleurs qui entendait défendre une certaine idée de justice sociale en permettant aux habitants des quartiers les plus pauvres d’être prioritaires dans l’accès à l’investissement.
En France, la pratique s’est instaurée au début des années 2000, dans quelques communes principalement étiquetées communistes. La ville de Grigny, dans le Rhône, a été l’une des premières à s’être fait remarquer dans ce sens en mettant en place un budget participatif pendant dix ans.
Parfois, plus d’une centaine de propositions étaient discutées lors de grandes réunions publiques avant d’être soumises au vote. Ainsi, jusqu’à 25% du budget d’investissement de la commune a été géré de manière participative.
Concrètement, la mairie du Pradet a décidé quant à elle de consacrer une enveloppe d’environ 160.000 euros à la réalisation de ces projets portés par le peuple. Cela représente moins de 1% de son budget d’investissement, mais comme dit Chantal Mouttet, présidente du Pradet Environnement, dont le projet d’installation de panneaux photovoltaïques a été retenu, "c’est déjà ça". "Un premier pas qui montre que le maire est a priori à l’écoute de ses concitoyens".
"Cette initiative a permis de faire remonter des idées que l’on n’avait pas forcément ou que l’on n’aurait peut-être pas priorisées", explique justement Hervé Stassinos, le maire (LR) du Pradet. Pour lui, "c’est toute la beauté de la démocratie".
Il y a un peu moins d’un an, la maire varoise a donc créé une plateforme en ligne, sur laquelle les Pradétans ont été invités à présenter leur dossier. Au bout de quelques semaines, 41 projets ont été recensés.
Parmi lesquels de vrais projets citoyens, mais aussi quelques idées plus saugrenues. Pêle-mêle, on a trouvé la création d’une base de jet ski, une campagne de vaccination contre la grippe, un plan de lutte contre le chômage, un parc à chien, l’aménagement d’une place de parking-minute pour les usagers de la boulangerie du centre, ou encore, beaucoup plus ambitieux, l’idée de faire circuler un VAL (une espèce de métro sur pneu) qui relierait La Seyne-sur-mer à La Garde, les porteurs de projet précisant au passage que "les 150.000 euros (initialement prévus par la mairie) pourraient servir à commencer les études"!
Après analyse de chaque dossier, la mairie a finalement retenu 13 projets "conformes au règlement du budget participatif". L’idée étant bien évidemment de "satisfaire l'intérêt général" et que ces projets relèvent aussi des compétences communales. Avant de les soumettre au vote final.
Tous les Pradétans âgés d’au moins 16 ans ont enfin pu s’exprimer en faveur des trois dossiers de leur choix. Et le couperet est tombé au bout de quelques semaines. Cinq projets ont donc été retenus.
Dans l’ordre décroissant (du budget alloué), il y a d’abord l‘installation d’une ou deux balançoires supplémentaires au Parc Cravéro où les enfants se bousculent (coût: 10.000 euros). Vient ensuite la création d’un parc de Street Work-out à La Bâtie (coût: 20.000 euros). Puis, la rénovation du mini-tennis au TCP (coût: 25.000 euros). La fontaine de la place Flamenq aura elle aussi droit à sa petite cure de jouvence (coût: 30.000 euros). Enfin, le plus gros projet portera sur le déploiement de panneaux photovoltaïques, vraisemblablement sur les toits de l’école Sandro (coût: 75.000 euros).
Les travaux des cinq chantiers lauréats devraient être réalisés en cours d’année, "en débordant peut-être sur 2020". Mais la municipalité envisage d’ores-et-déjà de reconduire l’expérience du budget participatif cette saison.
Pour ce premier test grandeur nature, 182 personnes ont voté. Parmi eux, Thierry et Elsa, ont donné leur voix au projet du parc Cravéro parce que le manque de balançoires peut parfois être "une vraie source de conflit" entre enfants, voire entre parents. Tous deux trouvent que, sur le principe, le budget participatif est une "bonne idée". "Mais pas la peine non plus de généraliser la pratique, poursuit Thierry. Sinon on passe notre temps à voter et après, ça ne sert plus à rien d’avoir un maire!"
"D’habitude, les habitants ne sont pas consultés. Là, on se sent utile, c’est constructif. Et pour une fois, on va voter avec plaisir".
Président du Tennis Club Pradétan, Denis Tendil apprécie pour sa part le fait que les citoyens puissent "donner leur avis sur leur commune". Lui qui se bat "depuis des années pour développer des activités de tennis pour la jeunesse" est heureux que son projet de rénovation de mini-tennis ait été retenu.
Pareil pour Dimitri Prisier. Ce chef d’entreprise pradétan juge cette "démarche démocratique géniale". Il était même "étonné" d’apprendre son existence. Son projet, c’est le parc de street work-out, une espèce d’aire de jeux pour adultes, avec barres de traction et autres agrès très prisés des sportifs qui aiment avoir les muscles saillants. "D’habitude, poursuit-il, les habitants ne sont pas consultés. Là, on se sent utile, c’est constructif. Et pour une fois, on va voter avec plaisir".
L’engouement est unanime. Ou presque. Seuls les membres de l’association Le Pradet Environnement ne cachent pas une certaine déception dans la mesure, expliquent-ils, où "le projet photovoltaïque ne correspond plus tout à fait à ce qui avait été proposé à l’origine". A savoir, que la "dimension citoyenne et coopérative" qui aurait "permis aux habitants d’être véritablement acteurs du changement" a été quelque peu oubliée...
"C’est sans doute le projet le plus complexe, donc on a finalement décidé de faire quelque chose de simple et pragmatique", rétorque Hervé Stassinos.
Très attachés à l’idée de démocratie participative, les membres de l’association écologique souhaiteraient en fait "élargir le débat, organiser davantage de réunions dans ce sens, pour que les citoyens s’impliquent encore plus et de manière concrète dans la vie de leur commune".