Le comité intergouvernemental de l’Unesco, réuni le 28 novembre à l’Île Maurice, a donné une réponse positive au dossier constitué par la Société internationale pour l’étude pluridisciplinaire de la pierre sèche (SPS), créée en 1997 à Brignoles et dont le siège est au Val.
Cette démarche était portée par huit pays: Croatie, Chypre, France, Grèce, Italie, Slovénie, Espagne et Suisse. Interview de la fondatrice et secrétaire générale de l’association, Ada Acovitsioti-Hameau
Félicitations et salutations. Les mots prononcés par les membres du comité intergouvernemental de l’Unesco le 26 novembre à l’Île Maurice ont résonné jusqu’au Val.
Plus précisément dans la Maison de l’archéologie siège de la SPS (Société internationale pour l’étude pluridisciplinaire de la pierre sèche, créée en 1997 à Brignoles).
Le dossier, constitué pendant plusieurs années par les membres de la société et porté par huit pays, a reçu une réponse favorable.
Ainsi, l’art de bâtir en pierre sèche est inscrite au patrimoine culturel immatériel de l’humanité. Une reconnaissance mondiale pour un savoir-faire, une technique, une transmission.
Et leur préservation. Ada Acovitsioti-Hameau, fondatrice et secrétaire générale de l’association, a bien voulu répondre à nos questions.
J’ai pleuré. Je ne m’attendais pas à avoir cette réaction. J’ai téléphoné à plusieurs personnes pour qu’ils visionnent la séance et je me suis surprise à avoir les larmes aux yeux. Ce dossier représente quatre ans de travail et deux ans d’attente.
En décembre 2016. Après, on a attendu la première étape. Le dossier a alors été réputé complet. Puis, il y a eu une évaluation à mi-parcours. On nous a précisé qu’il n’y avait pas de problème. En octobre dernier, juste avant le dernier congrès international sur la pierre sèche, la représentante de la France auprès de l’Unesco, Isabelle Chaves – anthropologue au ministère de la Culture – nous a dit que le dossier était en bonne voie et que le projet de décision était élogieux. Ce même projet a été adopté le 28 novembre par l’instance gouvernementale de l’Unesco.
En France, entre 2010 et 2012, il y a eu beaucoup de réunions informelles avec la fédération des constructeurs en pierre sèche, les représentants du bâtiment, des ministères de la Culture et de l’Agriculture. En 2012, on nous a dit qu’il fallait une association internationale pour ouvrir le dossier. Il fallait élargir à d’autres pays. On a tenu un petit peu le rôle de coordinateur, de secrétaire parce qu’il y a eu énormément de textes à écrire. L’argumentaire a été développé à l’intérieur de l’association. Par la suite, des membres de structures gouvernementales se sont penchés sur les rubriques et critères. Je remercie les représentants de tous les pays qui ont fait diligence. Ils ont travaillé d’arrache-pied pendant sept mois pour que le dossier soit prêt à temps. C’était une collaboration agréable et positive.
En premier lieu, ça nous apporte un très grand réconfort de reconnaissance pour ce type de technique. On l’a toujours défendu comme une technique douce tant pour l’environnement que pour la société. Elle incite à la coopération, au respect des différentes façons de faire et aux cultures des autres. Et deuxième élément important, on a maintenant un appui, circonstancié et international, pour prévenir ou contrer des constructions dans les aménagements territoriaux qui paraissent aberrants.
Si l’on veut du développement durable, que les paysans du monde puissent vivre de leur travail, que le paysage diversifié demeure et qu’il exprime notre culture, il faut soutenir le type de constructions en pierre sèche. Elles vont dans ce sens et ont un très grand passé historique, ethnographique et identitaire. Cette reconnaissance va aussi apporter des obligations.
Le réseau des pays – Croatie, Chypre, France, Grèce (porte-parole), Italie, Slovénie, Espagne et Suisse – qui a demandé la nomination et l’a obtenue est chargé de veiller à la bonne application de cette décision. Il faut maintenant être collectivement vigilant sur la transmission de la technique, sur son étude, sur tout.
Il n’est pas fermé. A la société, nous avons des membres qui viennent d’Amérique, d’Australie, des îles britanniques… La Grèce a accepté d’être le coordinateur du réseau. Après, tout le monde a travaillé chez soi et avec les autres.
Quelles ont été les particularités mises en avant dans votre dossier?
C’est une des rares fois où on ne classe pas quelque chose directement liée à un pays ou une région. On met en avant un savoir-faire et une technique commune au monde entier. Ce qui nous a valu des félicitations. La convention qui a été signée par plusieurs pays en 2005 est faite pour ça. Quand on a déposé le dossier, tous les représentants officiels de l’Unesco nous ont dit que c’était vraiment extraordinaire. "Vous êtes dans l’esprit de la convention."
Quel travail allez-vous entreprendre maintenant à la société?
Nous avons tenu notre 16e congrès à Minorque. Maintenant, il faut essayer d’étoffer ce réseau. Raccrocher d’autres régions et pays notamment d’Afrique, d’Amérique et d’Asie. L’objectif est aussi d’établir une charte de bons comportements, d’échanges de bons procédés pour arriver à avoir les meilleures retombées. On a quand même une certaine aura par rapport à ce classement au patrimoine immatériel de l’humanité. Ce n’est pas une obligation pour un état, un aménageur, de faire ce que l’on lui dit. Notre avis bien sûr ne peut être que consultatif mais il faut quand même faire attention. En attendant, le prochain conseil d’administration, ce sont des pistes de réflexion.
Oui. Ce qui est intéressant c’est qu’il y a une reconnaissance pour l’aménagement territorial. Les collectivités peuvent choisir d’aménager des lieux avec la technique de la pierre sèche. Des fédérations de muraillers existent en France – où le bâtisseur de pierre sèche est reconnu en tant que métier à part, plutôt un métier d’art que du bâtiment – en Suisse, en Espagne, dans les îles britanniques, en Croatie où le patrimoine est très important.
Extraits du projet de décision
En séance plénière à Port-Louis à l’Île Maurice, le comité intergouvernemental de l’Unesco a donné une décision définitive positive, le 26 novembre, au projet porté par huit pays (Croatie, Chypre, France, Grèce, Italie, Slovénie, Espagne et Suisse).
Les savoirs et techniques de l’art de bâtir en pierre sèche ont, ainsi, été inscrits dans la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité. Voici des extraits du projet de décision.
"L’art de bâtir en pierre sèche concerne les savoir-faire relatifs à l’élaboration de constructions en empilant des pierres les unes sur les autres sans l’utilisation d’autres matériaux à l’exception parfois de terre sèche. Les structures en pierre sèche sont répandues dans la plupart des régions rurales – surtout sur terrains accidentés – tant à l’intérieur qu’à l’extérieur des zones habitées, sans être pour autant inconnues dans les territoires urbains. La stabilité de ces structures est assurée par la sélection attentive et le placement des pierres. Ces structures ont configuré des paysages diversifiés en formant des modes variés d’habitat, d’agriculture et d’élevage. Elles témoignent des méthodes et des pratiques utilisées par les hommes depuis la Préhistoire jusqu’à nos jours afin d’organiser leurs espaces de vie et de travail en optimisant les ressources naturelles et humaines locales. Elles jouent un rôle vital dans la prévention des glissements de terrain, des inondations, des avalanches, dans l’empêchement de l’érosion et de la désertification des terres, améliorant la biodiversité et mettant en place des conditions microclimatiques pour l’agriculture…"
"Bâtir en pierre sèche est une tradition vivante qui est devenue de plus en plus prisée à l’égard de la gouvernance durable du patrimoine culturel, de la terre agricole des habitats humains et leur environnement. Parmi ses praticiens, les connaissances enseignées et les savoir-faire sont transmis par le travail conjoint de maîtres qualifiés et d’apprentis, par des ateliers, entraînements professionnels, cours (...) La pratique implique la coopération étroite des membres des communautés renforçant la cohésion sociale et la collaboration entre familles et voisins…"
"L’art de bâtir en pierre sèche combine une technique largement propagée avec le respect pour les conditions locales et avec l’usage exclusif de matériaux de construction locaux (...) La large distribution de la pratique et un haut niveau de protection de monuments en pierre sèche vont contribuer à la promotion du patrimoine immatériel en général…"
"Les autorités d’état de tous les pays candidats ont focalisé en premier sur la protection des constructions et sites de pierres sèches existant mais les communautés des praticiens et les organismes des professionnels ont dirigé leur attention vers la transmission effective et la promotion de l’élément (...) Un projet de sauvegarde a été proposé grâce aux efforts conjoints de tous les participants, avec les communautés et les associations qui ont initié et mené la procédure. Parmi les objectifs principaux compte l’établissement de systèmes d’entraînement permanents et standardisés couplés d’une certification adéquate. Le projet est centré sur la collaboration internationale, la recherche interdisciplinaire et le partage des bonnes pratiques de sauvegarde…"
"L’art de bâtir en pierre sèche, les savoirs et techniques relatifs sont inscrits dans les inventaires nationaux, régionaux et locaux des huit pays demandeurs…"
"Nous saluons l’initiative des pays participants de présenter une technique largement pratiquée qui respecte complètement les contextes locaux. Et nous les félicitons de soumettre un dossier exemplaire, préparé avec beaucoup de soin, qui témoigne de l’esprit de la convention en termes de coopération internationale."