Préambule : le Capitaine Haddock est très inspirant ces jours-ci. Depuis le 10 avril, l'équipe des Amis du Vieux Revest a organisé une cellule ad hoc, qui décortique et analyse les jurons d'Archibald Haddock. Visitez, commentez, contribuez. Attention pour les illustrations : pas de bulle d'Hergé, ses ayants-droits sont terriblement regardants. C'est là : Haddock en confinement Maintenant, découvrez l'article truculent de JFC sur le Mediapart du 17 avril 2020.
Le temps nous semble long et incertain pendant ce confinement. Les équipages de sous-marins ne vivent-ils pas des expériences similaires dont nous pourrions tirer profit ? Promiscuité, discipline et cohésion du groupe. Des parallèles peuvent être faits avec la situation que nous vivons cloitrés chez nous.
Pour explorer la question, j’ai eu la riche idée de skyper à Archibald Haddock, dit capitaine Haddock, descendant du chevalier François de Hadoque, capitaine de marine sous Louis XIV. Il est surtout connu pour être un Cyrano qui a fait de l’injure un art. Bourru et irrascible, ses emportements aussi brefs que spectaculaires ne l’empêchent pas de se montrer un homme généreux. Il nous a répondu avec gentillesse dans son langage fleuri.
Vous ne le saviez probablement pas, mais cet homme n’a pas été qu’un amiral de bateau lavoir, un astronaute d’eau douce ou un garde-côtes à la mie de pain, il a aussi été commandant d’un sous-marin nucléaire d’attaque (SNA) pour retrouver le trésor de Rackham le Rouge. Le confinement, il connait. Et il nous explique.
«Les SNA partent de longues semaines sans voir le soleil, sans voir la lune, sans voir ni le jour ni la nuit. C’est complètement clos. Nous devenons des troglodytes, des coloquintes d’eau de vaisselle. Une fois que le bateau a plongé, il n’y a pas d’échappatoire. Il n’y a même pas de feuille de dérogation. On est enfermé tonnerre de Brest !»
«Espèce de porc-épic mal embouché, vous devez savoir qu’il existe des différences importantes entre le confinement lié à la pandémie du coronavirus et celui dans un sous-marin.
La première c’est que le sous-marinier est privé de whisky mais lui, connaît la durée de son confinement. C’est là que se situe la grosse inquiétude pour la majorité des gens car avec ce sombre Coronavirus, on ne sait pas quand ni comment on va s’en sortir. Nous, on avait quand même une date approximative même si jusqu’à la fin de la mission, on ignorait la date précise. On savait grosso-merdo quand on allait revenir.
Autre chose, le fait d’être coupé du monde change beaucoup de chose psychologiquement. À bord, les mauvaises nouvelles ne sont pas souhaitées ne serait-ce que pour le moral de l’équipage. Quelque soit les informations, c’est moi qui juge s’il y a lieu de transmettre ou pas. Au lieu de cela nous avons le discours de ce tchouck-tchouck-nougat qui nous sert de président. Il nous laisse dans un flou complet. Et Castaner, cet espèce de mitrailleur à bavette, il se croit malin de parler avec sa langue de simili-martien à la graisse de cabestan ! Les cafouillages sont à tous les étages organisés par des bougres de faux jetons à la sauce tartare, des patagons de zoulous.
Pour les Bachi-bouzouk des Carpates confinés que nous sommes, c’est très différent. Nous baignons dans un flot de nouvelles catastrophiques savamment entretenues par la presse quotidienne qui nous sert du jus de poubelle et fait son cinéma avec l’actualité ! L’enfermement peut-être un facteur de stress et de fatigue. Se tenir informé est capital mais il ne faut pas ressasser ! Et rester scotchés devant sa télé ou sur les réseaux sociaux qui passent en boucle les mêmes infos sur la pandémie de Coronavirus ne nous aide pas beaucoup.
Tous les soirs, le professeur Jérôme Salomon, ce bougre d’extrait de cornichon, récite la litanie des morts de la journée ! Et Olivier Véran, comme Isidore Boullu est plus prompt à jouer de la trompette que réparer l’hôpital. Mille millions de mille sabords ! Si je tenais le concentré de moules à gaufres qui pont ses calembredaines ! Il y a donc de grandes différences entre mes équipages et le confinement dans lequel nous sommes actuellement plongés. Je ne sais pas où nous allons. De plus, je ne connais pas la mission.Pfuiiit»
«Au large matelot ! Comprends moi bien espèce de loup-garou à la graisse de renoncule, de mérinos mal peigné, de chouette empaillée, la cohabitation dans un espace restreint impose de mettre en place des règles et de s’y tenir. Il faut que chacun y mette du sien, à commencer par de la bonne humeur. Indispensable sous l’eau, comme en ce moment dans les foyers ! Prendre soin de son corps, de son esprit et lâcher-prise, laisser courir sur son erre !
En mission, la vie est rythmée par les quarts, pendant lesquels chacun remplit son rôle. Des périodes de travail entre lesquelles s’intercalent des activités. Lecture, jeux de cartes, sport. Malgré l’exiguïté des lieux, il faut se dépenser. Vélo d’appartement, course sur des tapis, exercices de musculation font du bien au corps et à l’esprit. Ce sont des moments où l’on peut s’isoler, s’échapper, oublier l’extérieur, compenser l’enfermement, lâcher prise.
Moi je voul’dis, tête de mule, pour garder le cap, il faut de la discipline dans les horaires: sommeil, repas, loisirs. La routine permet d’avoir un cadre et on en a besoin pour supporter plusieurs semaines voire plusieurs mois d’enfermement. Derrière sa caméra, le capitaine Haddock caresse sa barbe avec une bouteille de whisky à la main. La cohésion ça ne se décrète pas, ça se construit comme dans un équipage ou une équipe sportive engagée dans une aventure difficile.
J’étais particulièrement attentif au moral de mes troupes. À force de vivre ensemble, on connait les défauts et les points forts des uns et des autres. On doit composer avec. Il faut éviter les conflits, mais il faut aussi les résoudre assez vite ! Crever l’abcès le plus tôt possible avant que la situation ne dérape. Et si l’on crève l’abcès, il faut aussi savoir recoller les morceaux !
Accepter les raisons du confinement pour mieux le vivre. Une mission sous-marine, c’est une course d’endurance, pas un sprint pour limace baveuse. Cela va durer... Si l’on a compris les règles et qu’on les accepte, les contraintes sont supportables. Le confinement est plus simple à vivre si l’on reconnait que c’est la façon la plus efficace de lutter contre la contagion. Oui mais est-ce la façon la plus efficace ? Quel zouave interplanétaire croire ?»
Avant de couper Skype, je me risque à poser une dernière question. Le capitaine se serre un nouveau verre de whisky, en avale une rasade, prend une profonde inspiration et lève les bras au ciel.
«Pour vous qui avez passé de nombreuses semaines à plusieurs dizaines de mètres sous l’eau, être bloqué chez vous à regarder le soleil par la fenêtre, entendre les oiseaux et sortir dans la rue faire quelques courses, cela doit vous sembler de la rigolade ?»
«Mais vous ne comprenez rien, espèce d'ectoplasme à roulettes, moi je suis bloqué dans ce satané bazar de fourbi de trucs à Moulinsart, avec Bianca Castafiore, qui vocalise à longueur de journée l’air des bijoux de Faust («Ah ! ...me voir si belle en ce miroir») et le professeur Tournesol dur d’oreille, qui confond mes pets avec un orage ou passe son temps à pincer les fesses de Bianca. C’est l’enfer....»