En France, un habitant produit en moyenne 360 kilos d’ordures ménagères par an. Les habitants de la Côte d’Azur génèrent 100 kilos de plus. Face à la saturation, quelles solution ?
On croule sous les déchets. Chaque habitant de la région Sud produit environ 436 kg/an d’ordures ménagères et assimilées soit 100 kg de plus que la moyenne nationale d’après les chiffres de l’Observatoire régional des déchets (1).
Le Var avec 490 kg/an/habitant et les Alpes-Maritimes avec 460 kg/an/habitant font figure de mauvais élèves.
La crise de la gestion des déchets a conduit en novembre dernier à une situation rocambolesque. Plus de 500 tonnes d’ordures ménagères provenant du bassin cannois et grassois ont été envoyées depuis la Côte d’Azur jusqu’à une usine d’incinération située... dans le Pas-de-Calais ! En cause, la saturation des sites de traitement.
"Il y a urgence à trouver une solution", déclarait en décembre dernier le maire d’Antibes, Jean Leonetti, face à la crise du traitement des déchets dans l’ouest des Alpes-Maritimes.
Tout le monde convient de l’urgence. Le préfet des Alpes-Maritimes a ainsi réuni des groupes de travail. Autour de la table: élus et collectivités en charge de la collecte et du traitement des déchets.
"Le préfet a évoqué la nécessité d’analyser les possibilités foncières qui pourraient convenir à des investissements, observe Bernard Vigne, coordinateur du Pôle déchet & économie circulaire à l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie). Mais il faudra du temps pour les mettre en œuvre."
"Entre 2010 et 2018 on est passé de 456kg/an/hab à 395 kg/an/habitant, note un élu niçois. La production a baissé de 13%". Il met en avant la montée en puissance du tri, avec "l’extension des consignes" et, à Nice, la mise en place de deux collectes par semaine pour les emballages.
Et ailleurs? Ça progresse confirme Citéo, l’entreprise agréée par l’Etat pour gérer les déchets. Même s’il subsiste une forte disparité entre le Var et les Alpes-Maritimes. Ces dernières ont enregistré une augmentation de 4% du tri entre 2017 et 2018 portant à 55,8 kilos d’ordures triées par habitant et par an contre 70,4 kilos par an et par habitant en France.
En la matière, le Var fait meilleure figure que les Alpes-Maritimes avec 70 kilos d’ordures recyclées par an et par habitant. Mais si les gens trient plus, ce n’est pas encore le cas de tout le monde.
Variation des consignes de tri d’une commune à l’autre, fréquence du ramassage, ergonomie des poubelles, les freins ne manquent pas. Pour faciliter le geste de tri, insiste Alice Annibal Jeambet, il faut "homogénéiser les pratiques, la couleur des bacs de collecte sélective, parce que, aujourd’hui, d’un centre de tri à l’autre on ne prend pas les mêmes plastiques, canettes..."
La question des emballages et de leur devenir : l’entreprise privée Citéo, agréée par l’Etat pour gérer les déchets, est régulièrement interpellée sur ce sujet. "L’objectif est d’apporter 100% de solutions aux emballages et papiers par l’écoconception et le recyclage", affirme Christine Leuthy-Molina, directrice régionale Sud-Est chez Citéo.
Un objectif qui n’est, pour l’instant, pas encore atteint. En effet, chaque année, en France, un million de tonnes d’emballages plastique sont produites et doivent être traitées.
La directrice de Citéo pointe du doigt les mauvaises pratiques: "Certains plastiques ne sont pas recyclés car ils ne finissent pas au bon endroit parce que les gens ne les trient pas bien à la base. On ne peut donc pas les récupérer d’où l’importance d’être attentif à ce qu’on jette."
L’extension des consignes de tri a été proposée à l’ensemble des habitants des Alpes-Maritimes contre un habitant sur deux dans le Var.
"Le contexte réglementaire se durcit avec une exigence de 100% de plastiques recyclable d’ici à 2025 annoncée par le gouvernement, continue Christine Leuthy-Molina. L’enjeu est donc de limiter leur impact environnemental en amont comme en aval de la chaîne de consommation."
Limiter l’impact des emballages? Citéo, impliquée en recherche et développement, dispose de laboratoires qui travaillent, notamment, sur les différentes résines présentes dans les plastiques, empêchant parfois leur recyclage.
"Ça n’élimine pas le plastique pour autant", commentent les opposants comme l’association Zero Waste, regrettant que le problème ne soit pas pris à la source.
Pour limiter le volume d’ordures ménagères envoyé à l’incinérateur, l’Ademe souligne l’intérêt du "tri à la source" des déchets alimentaires: épluchures, coquilles d’œuf… Ils représentent plus de 30% du poids de la poubelle.
Si, en France, 125 collectivités ont mis en place une collecte des biodéchets, dans la région Sud, seules deux ont sauté le pas: Aygue-Ouveze dans le Vaucluse et le pays de Grasse. Pourtant, le temps presse: fin 2024, les collectivités auront l’obligation de collecter sélectivement les biodéchets triés chez les citoyens.
"2024 c’est demain, il faut créer des filières de ramassage et de valorisation, suggère-t-on à l’Ademe. Ce serait judicieux d’installer des unités de compostage de déchets verts et de biodéchets".
Pourquoi jette-t-on plus dans les Alpes-Maritimes et le Var? L’afflux touristique et des vacanciers pas forcément au fait des consignes de tri ne suffisent pas à expliquer un tel écart. Les véritables raisons sont aussi à rechercher ailleurs.
Des experts relèvent une situation "anormale": les déchets d’activités économiques qui se retrouvent dans le circuit des déchets des particuliers.
"Au niveau national ça représente 20% des déchets ménagers, et dans les Alpes-Maritimes et le Var, 40%, détaille Alice Annibal Jambet, chargée de mission déchets à l’Ademe. La Région a bien conscience de ce problème et on travaille avec eux pour faciliter la collecte des carton-verre-emballages-déblais et gravats des professionnels avec une filière spécifique."
Par ailleurs, le fait d’avoir des incinérateurs sur son territoire (Toulon, Antibes, Nice) qu’il faut "saturer" pour qu’ils ne dysfonctionnent pas a longtemps "freiné la politique de prévention des flux", estime Bernard Vigne, coordinateur du Pôle déchet & économie circulaire à l’Ademe.
Ce dernier développe: "Vouloir créer des décharges ou des incinérateurs peut ralentir la mise en place d’une politique de prévention et de réduction des déchets ambitieuse. La difficulté c’est qu’il faut anticiper, chercher des solutions en amont, et pas lorsque l’on se retrouve dans l’urgence. Car pour changer les comportements, il faut du temps. Pendant les "Trente Glorieuses", on a présenté le plastique comme bénéfique notamment d’un point de vue sanitaire. Alors, aujourd’hui, revenir en arrière, proposer d’acheter en vrac, cela peut paraître compliqué."
Il pointe la nécessité pour les décideurs d’être des porte-parole d’une politique de prévention et de ne pas raisonner qu’avec des projets de centres d’enfouissement ou d’incinérateurs.